• Que l'indivision soit volontaire (indivision conventionnelle) ou subie (indivisions successorale ou post-communautaire faisant suite à un divorce), elle constitue une source de difficultés juridiques considérables.

    En effet, si les coïndivisaires s'accordent sur tout, tout va bien.

    Mais il suffit que certaines tensions surgissent, que des désaccords apparaissent, et l'indivision conduit à l'immobilisme ou au chantage permanent ("je donnerai mon accord à telle décision nécessaire au fonctionnemment de l'indivision si...").

    L'indivision étant susceptible de concerner toutes sortes de biens, des problématiques différentes apparaissent : être propriétaire indivis d'un bien immobilier suscite des difficultés distinctes de celles rencontrées concernant un compte bancaire, une oeuvre d'art, ou encore des parts sociales.

    S'agissant de ces dernières, plusieurs questions se posent : qui a la qualité d'actionnaire ? Qui a droit aux dividendes ? Qui exerce les droits de l'actionnaire et notamment qui participe aux assemblées générales et avec quelles prérogatives ?

    Depuis un arrêt en date du 6 février 1980, il est acquis que les indivisaires de droits sociaux sont tous pourvus de la qualité d'actionnaire (Cass. civ. 1ère, 6 février 1980, Bull. civ. I, n° 49, P n° 78-12.513).

    Une telle situation n'est évidemment pas sans poser de difficultés et il est alors nécessaire d'avoir recours au système de la représentation tel que prévu par le Code civil en son article 1844, lequel dispose : « [l]es copropriétaires d'une part sociale indivise sont représentés par un mandataire unique, choisi parmi les indivisaires ou en dehors d'eux. En cas de désaccord, le mandataire sera désigné en justice à la demande du plus diligent. »

    Une fois désigné, ce mandataire se voit confier le droit de vote qu’il exercera à l’occasion des assemblées générales de la société dans le sens de l’intérêt commun de l’indivision.

    Dans le cas d’une désignation conventionnelle, il convient de privilégier le recours à un mandat exprès, étant précisé que la Cour de cassation a écarté en la matière le jeu du mandat tacite de l’indivision légale visé à l’article 815-3, alinéa 4 du Code civil (Cass. com. 16 novembre 2004, pourvoi n° 01-10.666).

    Dans le cas d’une désignation judiciaire, le Code de commerce prévoit que celle-ci intervient « par ordonnance du président du tribunal de commerce, statuant en référé. » (pour les SA : article R. 225-87, c. com.) Rien ne s’oppose à ce que, dans cette hypothèse également, le mandataire soit choisi parmi les coïndivisaires (Cass. com. 10 juillet 2012, Bull. civ. IV., n° 157, pourvoi n° 11-21.789).

    Le mandataire désigné, quels sont ses pouvoirs ? De voter au nom des coïdivisaires, certes, mais sa présence à l'assemblée générale implique-t-elle un effacement total de ses mandants ?

    Telle est la question tranchée par la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt du 21 janvier 2014 (Cass. com., 21 janvier 2014, pourvoi n° 13-10.151 : ici), dans laquelle la Haute Juridiction a dit que les coïndivisaires de parts sociales étaient fondés, en dépit de la désignation d’un mandataire commun, à assister et particper aux assemblées générales.

    Pour la Cour d’appel de Rouen (CA Rouen, 20 septembre 2012, n° 11/06049), la présence des indivisaires aux assemblées générales était nécessairement exclue par la désignation d'un mandataire commun représentant l'indivision. En effet, selon la Cour d’appel, « il n'y a[vait] pas lieu de dissocier artificiellement la discussion préalable des points soumis au vote et le vote lui-même, qui participent d'une seule démarche intellectuelle », si bien qu’étant privés de leurs droits de vote, les associés indivis étaient ipso facto privés de l’ensemble de leurs droits politiques, en ce compris le droit de s’exprimer à l’occasion de l’assemblée générale.

    En conséquence de la désignation d’un mandataire commun, les juges du fond estimèrent ainsi qu’un des associés indivis n'avait « aucun titre ou qualité pour assister aux assemblées générales de [la société] » et, partant, ils lui interdirent « de se faire assister ou représenter par [son époux] auxdites assemblées générales, sous astreinte provisoire de 500 euros par infraction constatée ».

    ca-va-pas-du-tout-ce-discours

    En rappelant les dispositions d’ordre public de l’article 1844, alinéa 1er du Code civil, la Haute juridiction souligne à titre liminaire que " tout associé a le droit de participer aux décisions collectives ". Elle précise ensuite, pour censurer l’arrêt déféré et compléter le syllogisme, « que les copropriétaires indivis de droits sociaux ont la qualité d'associé ».

    Il faut en conclure que la délégation intervenue au bénéfice du mandataire commun ne concerne que l’exercice du droit de vote sans déposséder les associés indivis de leur droit d’assister aux assemblées générales et d'intervenir librement (même de manière périssable, cf. dessin supra).

    Le droit pour tout associé d’assister aux assemblées générales est inaliénable, même s’il apparaît sérieusement entamé lorsqu’un mandataire commun représentant les associés indivis a été désigné.

    L’associé indivis conserve alors une fonction tribunitienne et ne peut qu'espérer convaincre l'assemblée générale par la force de sa conviction et la rigueur de son raisonnement, sans jamais pouvoir « joindre le geste à la parole » en votant sur les résolutions discutées.

    Les associés indivis participent ainsi, concurremment avec le mandataire, à la discussion préalable au vote sur les questions figurant à l’ordre du jour.

    Ils le font en toute connaissance de cause, puisqu'ils sont titulaires d’un droit à l’information (article L. 225-118 pour les SA) qui leur donne accès à tous les documents sur la base desquels l'assemblée générale est appelée à se prononcer.

    Me Xavier Chabeuf

    Pin It

  • Après le reçu pour solde de tout compte puis le certificat de travail voici, pour clore cette trilogie, l’attestation d’assurance chômage.

    Au moment de l’expiration du contrat de travail, l’employeur est tenu de délivrer au salarié une attestation d’assurance chômage (ancienne « attestation Assedic ») lui permettant d’exercer ses droits à l’assurance chômage.

    Toutes les formes de ruptures (licenciement, démission, « prise d’acte », rupture de période d’essai, mise à la retraite) et tous les salariés (en CDD, CDI, en contrat d’apprentissage, saisonniers…) sont concernées.

    Comme les deux autres documents de fin de contrat précédemment examinés, l’attestation d’assurance chômage est « quérable » et non « portable », c’est-à-dire que l’employeur est seulement tenu de la mettre à la disposition du salarié à charge pour ce dernier de se déplacer à l’entreprise pour en prendre possession.

    L’employeur de 10 salariés et plus doit adresser cette attestation au Pôle Emploi sous forme électronique. Les employeurs de moins de 10 salariés peuvent faire un envoi électronique ou continuer d’envoyer au Pôle Emploi un exemplaire de l’attestation papier.

    84561909_p

    Quelques règles à respecter :

    Date de la délivrance : à la fin du préavis, qu’il soit exécuté ou non. L’attestation d’assurance chômage ne doit pas être remise au salarié avant la notification de la rupture du contrat de travail. Si tel était le cas, cette remise pourrait s’analyser en un licenciement non motivé (absence d’énonciation des motifs), ce qui rendrait le licenciement nécessairement sans cause réelle et sérieuse.

    Mentions contenues dans l’attestation. Parmi les informations essentielles, l’attestation Pôle emploi doit comporter :

    -          Le motif de la rupture (licenciement pour motif personnel, économique, démission, rupture conventionnelle, ...) ;

    -          Les salaires bruts soumis à cotisations (ainsi que les primes et gratifications avec mention de leur périodicité de versement) ;

    -          Le montant des indemnités de rupture (y compris celui de l'indemnité transactionnelle le cas échéant) ;

    -          Le nom et la qualité du signataire ;

    -          Le cachet de l’employeur ;

    -          La caisse de retraite complémentaire à laquelle le salarié a été affilié.

    Sanctions en cas de mentions erronées, d’absence ou de retard dans la délivrance. Compte tenu de l’importance que revêt ce document pour le salarié (ouverture des droits à l’assurance chômage), la jurisprudence est particulièrement sévère à l’encontre des employeurs qui remplissent mal ou tardent à remettre l’attestation d’assurance chômage. Le salarié peut prétendre à des dommages et intérêts en cas d’indications erronées notamment si celles-ci ont pour effet de réduire l’assiette de calcul de ses droits. Il est en outre jugé que la remise tardive de ce document cause « nécessairement » un préjudice au salarié, c’est-à-dire sans que ce dernier soit tenu d’en démontrer l’étendue. En outre, la non remise de l’attestation d’assurance chômage est une contravention de la 5e classe, passible d’une amende de 1 500 €.

    Me Manuel Dambrin

    Pin It

  • Les clauses abusives sont définies par l’article L. 132-1 du Code de la consommation, aux termes duquel : « Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat ».

    Le Code de la consommation distingue deux catégories de clauses :

    • Celles qui sont présumées abusives : en cas de litige concernant un contrat comportant une telle clause, le professionnel doit apporter la preuve du caractère non abusif de la clause litigieuse.
    •  Celles qui, compte tenu de la gravité des atteintes qu’elles portent à l’équilibre du contrat, doivent être regardées comme abusives de manière irréfragable.

    Ces deux catégories de clauses sont énumérées aux articles R. 132-1 (liste des clauses expressément abusives) et R. 132-2 (liste des clauses simplement abusives) du Code de la consommation et sont régulièrement mises à jour.

    Malgré la clarté de sa rédaction, qui ne concerne que les contrats conclus entre professionnels et non professionnels ou consommateurs, la question s’est longtemps posée de savoir si les dispositions de l’article L. 132-1 du Code de la consommation pouvaient trouver application dans les relations entre professionnels.

    L’arrêt rendu par le Cour de cassation commenté ci-après vient mettre un terme aux interprétations en posant une solution claire et de bon sens.

    Les faits de l’espèce étaient les suivants : une société d’importation et de transformation de bois de construction a fait installer un système de télésurveillance dans l’un de ses établissements par une société spécialisée dans le domaine des systèmes d’alarme et de vidéo surveillance. Après plusieurs cambriolages, elle l’a assignée en responsabilité. Elle a été déboutée de son action sur la base d’une des clauses du contrat liant les deux sociétés, aux termes de laquelle la société de surveillance n’était liée par aucune obligation de résultat auprès de la société de transformation de bois de construction. Cette dernière a soutenu que cette clause était abusive et devait être frappée de nullité.

    Par un arrêt du 3 décembre 2013 (Cass. com., 3 décembre 2013, pourvoi n° 12-26.416 : ici), la chambre commerciale de la Cour de cassation a décidé que « les dispositions de l'article L. 132-1 du code de la consommation ne s'appliqu[ai]ent pas aux contrats de fourniture de biens ou de service conclus entre sociétés commerciales ».

    Cette solution n’est pas nouvelle (1.). Elle appelle néanmoins certaines observations (2.).

     

    1. Une solution conforme à l’état de la jurisprudence

    Par un arrêt du 11 décembre 2008, la Haute juridiction avait déjà jugé « que les dispositions du texte susvisé [article L. 132-1 du code de la consommation] ne s'appliquent pas aux contrats de fournitures de biens ou de services conclus entre sociétés commerciales »(Cass. com., 11 décembre 2008, pourvoi n° 07-18128).

    Elle réitéra cet attendu de principe par deux arrêts du 6 septembre 2011 (Cass. com., 6 septembre 2011, pourvois n° 10-21.583 et 10-21.584, à propos de l’article L. 136-1 du code de la consommation).

    Il s’ensuit que l’arrêt précité du 3 décembre 2013 s’inscrit dans un courant jurisprudentiel excluant sans ambiguïté les sociétés commerciales du champ d’application rationa personae de la protection instituée au bénéfice des consommateurs et non-professionnels.

    On rappellera que, par le passé, la Cour de cassation autorisait les sociétés commerciales à se prévaloir de cette protection dès l’instant où le contrat conclu n’avait pas un « rapport direct » avec l’activité professionnelle de celui qui l’invoque (Cass. civ. 1ère, 3 janvier 1996, pourvoi n° 93-19.322).

    Ce « rapport direct » reçut cependant une acception large. Ainsi jugé qu'un contrat de location de matériel téléphonique a un rapport direct avec l'activité professionnelle d'un fabricant de bracelets en cuir (Cass. civ. 1ère, 5 novembre 1996, pourvoi n° 94-18.667).

    Les sociétés commerciales pouvaient donc difficilement, même avant l’arrêt du 11 décembre 2008, prétendre au bénéfice des dispositions protectrices du code de la consommation.

    Le droit de l’Union européenne, qui ne connaît pas la notion de « non-professionnel », réserve quant à lui le bénéfice du droit de la consommation à la seule catégorie de consommateurs qui « doit être interprétée en ce sens qu’elle vise exclusivement les personnes physiques » (CJUE, 22 novembre 2001, C-541/99).

                  

    H

     2. Une solution dont la portée est à nuancer

    Tout d’abord, si les sociétés commerciales sont exclues du bénéfice des dispositions consuméristes, il en va autrement d’un syndicat de copropriétaires, personnes morale, qui peut lui s’en prévaloir (Cass. civ. 1ère, 23 juin 2011, pourvoi n° 10-30.645), ou encore d'une société civile, laquelle n'exerce pas une activité commerciale.

    Ensuite, l'article L. 442-6 du Code de commerce reprend, au bénéfice des commerçants, une protection analogue à celle offerte par le Code de consommation.

    Aux termes du 2° de cet article, engage ainsi la responsabilité de son auteur le fait « [d]e soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».

    Cette formulation reprend à l’identique l’article L. 132-1, al. 1er du Code de la consommation qui dispose que « sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. »

    La non-applicabilité de l'article L. 132-1 du Code de la consommation dans les relations entre commerçants ne signifie donc pas que "tout est permis" entre eux, mais seulement que le commerçant lésé devra prouver une faute (soumettre ou tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséqsuilibre significatif dans les droits et obligations des parties), un préjudice et un lien entre les deux.

    Autant dire que, privé des listes de clauses réglementaires du Code de la consommation, il faut repartir de zéro sans bénéficier de la force de dispositions qui instaurent une présomption ou une irréfrégabilité de caractère illégal. Elles n'en seront pas moins utiles, à titre d'analogie, les mêmes causes produisant les mêmes effets.

    Soulignons, enfin, une différence concernant la sanction des dispositions contractuelles induisant un "déséquilibre significatif" : le commerçant lésé se verra alloué une indemnisation de son préjudice, tandis que les consommateurs et non-professionnels peuvent obtenir que la clause litigieuse soit réputée non écrite.

    Me Xavier Chabeuf

    Pin It





    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires