• Traditionnellement, il résulte du principe de l’autonomie juridique de la personne morale, déduit de l’article 1842 du Code civil, qu’une société ne peut être condamnée à réparer le préjudice imputé à une autre société du même groupe, cette dernière constituant une personne morale distincte (solution habituelle, cf. Nment : Cass, Com., 24 mai 1982, n°81-11.268).

    Ainsi, en théorie, seule la société contractante sera redevable de la dette dont elle est titulaire en cas d’inexécution contractuelle, même si elle fait partie d’un groupe de sociétés.

    Cependant, la jurisprudence a depuis longtemps dégagé une exception à ce principe, afin de contourner l’éventuelle insolvabilité d’une société en difficulté appartenant pourtant à un groupe prospère.

    Ainsi, lorsqu’une société du groupe s’immisce dans la gestion d’une autre société (notamment au moyen de « décisions de groupe »), elle pourra être condamnée à supporter les conséquences de l’inexécution d’un contrat passé par cette dernière. (Cass, Com., 4 mars 1997, n°95-10.756).

    Cette solution s’est par la suite affinée, la Cour de cassation exigeant que cette immixtion ait été de nature à créer pour le cocontractant une apparence trompeuse propre à lui permettre de croire légitimement que cette société était aussi son cocontractant (Cass, Com., 12 juin 2012, n°11-16.109).

    La Cour de cassation, statuant en Assemblée plénière, sa formation la plus solennelle, a notamment appliqué cette jurisprudence à l’hypothèse spécifique de la société-mère d’un groupe, s’immisçant dans les affaires de l’une de ses filiales. En application de la théorie de l’apparence, la société-mère, laissant croire au créancier qu’elle prenait part à l’engagement de sa filiale, avait été condamnée au paiement de la dette de cette dernière (Cass, Ass. Plén., 9 octobre 2006, n°06-11.056).

     

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    Par un arrêt récent du 3 février 2015, la chambre commerciale de la Cour de cassation a étendu plus avant cette jurisprudence (Cass, Com., 3 février 2015, 13-24.895 : Arret).

    Dans cette affaire, contrairement aux hypothèses jurisprudentielle précédemment énoncées, la société-mère ne s’était pas ingérée dans les affaires ou la gestion de sa filiale dans le cadre de la négociation ou l’exécution du contrat litigieux.

    Toutefois, elle était intervenue auprès du créancier de sa filiale au stade précontentieux, alors que le litige résultant de l’inexécution du contrat était déjà né, et que le créancier s’apprêtait à saisir la juridiction compétente pour obtenir le paiement de sa créance.

    La société-mère s’était alors rapprochée du créancier de sa filiale pour discuter le montant de la créance, et tenter d’obtenir un arrangement à l’amiable, proposant la réduction de la créance en appliquant des remises consenties à l’occasion de commandes précédentes.

    La Chambre commerciale de la Cour de cassation confirme l’arrêt d’appel qui avait condamné la société-mère au paiement de la dette de sa filiale, retenant que l’intervention de la société-mère et sa tentative de négociation du montant de la dette avec le créancier, avaient laissé croire à ce dernier qu’elle se substituait à sa filiale dans l’exécution du contrat.

    Dès lors, elle devait répondre de la dette.

    Ainsi, désormais, la société-mère, pourra se trouver redevable des dettes de sa filiale, quand bien même elle ne se serait pas immiscée dans les affaires ou la gestion courante de celle-ci (et en particulier dans la négociation ou l’exécution du contrat en cause), dès lors que postérieurement à la survenance du litige, elle a tenté de transiger afin d’en obtenir un règlement à l’amiable.

    L’élément clé de cette jurisprudence semble donc être la théorie de l’apparence, la société-mère engageant sa responsabilité à quelque moment qu’elle intervienne auprès du créancier (avant ou  après l’émergence du litige) dès l’instant où elle crée dans l’esprit de ce dernier une confusion sur l’identité exacte de son cocontractant.                                                                                                 

    On ne saurait donc trop conseiller à la société-mère d’un groupe de sociétés, de maintenir une stricte séparation entre sa propre activité et celle de ses filiales, ou, à défaut de prendre soin de ne laisser subsister aucune ambiguïté auprès des créanciers sur l’identité de leur cocontractant, en indiquant clairement que le débiteur reste bien la filiale, à laquelle la société-mère, en dépit de son intervention, n’entend pas se substituer.

    Me Xavier Chabeuf

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