• Les preuves doivent être légalement recueillies, à défaut elles ne sont pas recevables.

    C’est ce qu’illustre la décision rendue le 20 septembre 2018 (n° 16-26482) par la Cour de Cassation dans une affaire où la salariée, serveuse dans un restaurant, avait été confondue par les caméras de vidéosurveillance : on la voyait sur les bandes en train de servir des consommations sans les taper à la caisse et mettre l’argent à côté de celle-ci pour ensuite le déposer dans son vestiaire.

    Preuve illicite : licenciement abusifLa présence des caméras était signalée par une affiche à l’entrée du restaurant afin de prévenir les clients.

    L’employeur avait licencié la salariée pour faute grave en se fondant sur ces enregistrements.

    Confrontée aux images de la vidéosurveillance, la salariée avait reconnu le vol.

    Mais le licenciement a été considéré comme sans cause réelle et sérieuse.

    En effet, l’employeur doit informer personnellement les salariés de l’installation d’un système de vidéosurveillance et de l’usage qui pourrait en être fait à leur encontre (c. trav. art. L. 1222-4 ; cass. soc. 7 juin 2006, n° 04-43866, BC V n° 206). À défaut toute information collectée par ce biais est considérée comme illicite et ne peut servir de preuve lors d’un licenciement.
    Or, en l’espèce, l’employeur ne pouvait pas démontrer qu’il avait porté à la connaissance de la salariée l’existence du système de vidéosurveillance. Les témoignages d’autres salariés ont été écartés dès lors qu’ils n’étaient pas en mesure d’indiquer la date à laquelle ils avaient été informés.

    La vidéosurveillance constituait donc un moyen de preuve illicite et la reconnaissance des faits par la salariée, même devant les gendarmes, ne pouvait pas être retenue comme un mode de preuve.
    L’employeur, qui n’avait pas d’autres éléments de preuve, a donc été condamné à verser à la salariée des dommages et intérêts pour licenciement abusif.

    Rappelons également que l’employeur doit informer et consulter le comité social et économique, lorsqu’il existe, préalablement à la décision de mise en œuvre dans l'entreprise de moyens ou techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés (c. trav. art. L. 2323-32 pour le CE et L. 2312-38 pour le CSE ; cass. soc. 7 juin 2006, n° 04-43866, BC V n° 206).

    Me Manuel Dambrin

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  • C’était mon sujet de grand oral d’examen d’entrée à l’école du Barreau : « L’indépendance des juges ».

    Question ô combien sensible tant sur le plan collectif, où cette question revient périodiquement sur le devant de l’actualité au gré des différentes « affaires » politico-financières, que sur le plan individuel.

    C’est ce dernier aspect qui nous intéresse ici, celui de l’indépendance du juge, non pas par rapport à sa tutelle administrative ou politique, mais par rapport à lui-même.

    On évoque alors davantage l’exigence d’impartialité : chaque magistrat a une histoire, des références politiques, culturelles, philosophiques, religieuses, mais il rend la justice au nom du peuple français et doit offrir aux justiciables l’apparence d’une impartialité totale.

    Il s’agit pour le juge de se dédoubler, ce que permet le cérémonial de la justice et le port de la robe : il ne rend pas la justice comme un citoyen libre de ses opinions comme tout un chacun, mais comme représentant d’une idée (la justice dans un état de droit démocratique) et le visage de valeurs qui le dépassent et qui le contraignent à aller « au-delà de lui-même », en oubliant ses préjugés de citoyens pour s’ouvrir à la différence d’une vérité plus complexe qu’il n’est pas seul à détenir, et dont les justiciables qui comparaissent devant lui (représentés par leurs avocats) détiennent également une part.

    Evidemment, ce n’est pas simple de s’oublier soi-même et de s’efforcer à l’objectivité, à l’impartialité.

    Mais encore faut-il en avoir le souci, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas. L’enseigne-t-on à l’Ecole nationale de la magistrature ?

    Indépendance et impartialité des juges : l’inaccessible idéal

    N’intervenant que marginalement en matière pénale, je n’ai pas l’expérience de représenter des personnes suspectées d’avoir commis des crimes ou des délits potentiellement graves.

    Mon expérience se limite aux juridictions civiles, commerciales, et prud’homales et concerne principalement des clients dont le défaut, semble-t-il, est de disposer de revenus ou de patrimoines supérieurs à la moyenne.

    Je me rappelle de ce conseiller de cour d’appel, ironisant sur le fait que mon client n’avait pas vraiment lieu de se plaindre compte tenu du salaire qu’il percevait actuellement, plusieurs années après les violations contractuelles objet du litige. Ou de cette présidente de tribunal exprimant que ma cliente, qui avait bénéficié de donations familiales, était bien ingrate de prétendre que ses droits avaient été violés. Ou de ces observations déplacées de conseillers prud’homaux face aux rémunérations élevées dans le secteur de la finance. Plus récemment, un tribunal d’instance a pu écrire dans les motifs de sa décision que mon client, pharmacien, était mal placé pour prétexter l’impossibilité de participer à une visite d’expertise à une date précise compte tenu des facilités que sa profession lui laissait.

    Précisons que toutes ces expressions, qui sont loin d’être isolées, se sont traduites par des décisions défavorables à la personne concernée…

    Et l’objectivité exige de préciser que dans bien des cas, une décision favorable a été rendue en cause d’appel devant d’autres magistrats.

    Il ne s’agit donc pas de soutenir que le phénomène est général, mais seulement qu’il existe et reste malheureusement fréquent dans des dossiers dans lesquels certains magistrats n’arrivent pas à dissimuler une défiance de classe face aux citoyens qui se sont tournés vers la justice pour trancher un litige.

    Et je n’évoque même pas ici le cas, évidemment inquantifiable, des magistrats hostiles pour des raisons d’inclination personnelle à un justiciable, mais qui ont la sagesse ou la rouerie de ne pas la laisser paraître… Méfions-nous de ce juge sophiste qui fait mine d’entendre, de s’intéresser, mais a déjà décidé, dans son for intérieur, de l’issue du litige. Les avocats ne sont alors que les acteurs d’une triste comédie.

    Une sanction existe à la manifestation sans équivoque, écrite, d’un manque d’impartialité, c’est la nullité.

    Cette solution est rappelée régulièrement dans des cas extrêmes :

    -        Ainsi de ce juge de proximité de Toulon faisant état de « la piètre dimension de la défenderesse qui voudrait rivaliser avec les plus grands escrocs, ce qui ne constitue nullement un but louable en soi sauf pour certains personnages pétris de malhonnêteté comme ici Mme M. dotée d’un quotient intellectuel aussi restreint que la surface habitable de sa caravane » ;

    -        Ainsi aussi, plus récemment, du tribunal d’instance de Montpellier écrivant dans son jugement que « Madame S. prend plaisir à rappeler les circonstances douloureuses du décès du fils des demandeurs et de leur nuire en voulant culpabiliser un père endeuillé ». La Cour d’appel de Montpellier a considéré que l’utilisation de la terminologie « prend plaisir » caractérisait une « appréciation morale personnelle du juge qu’il impute sans preuve rapportée » à Madame S. La Cour ajoutant : « L’appréciation morale personnelle exprimée par le juge est nécessairement extérieure à l’exigence d’objectivité et d’impartialité qui lui incombe, et de nature à affecter en conséquence la validité de la décision judiciaire ». Le jugement a été annulé (CA Montpellier, 27 février 2018, n° 15/08354).

    Ainsi que le résume l’adage anglo-saxon, « Justice must not only be done, it must also be seen to be done ».

    Me Xavier Chabeuf

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  • Pas vu, pas pris !Les connexions Internet effectuées pendant leur temps de travail par les salariés sur l’ordinateur mis à leur disposition par l’employeur sont présumées avoir un caractère professionnel. L’employeur peut donc en contrôler la bonne utilisation et sanctionner l’usage abusif de connexions pour des raisons privées.

    Ainsi jugé que des connexions Internet privées excessives (800 connexions en un mois à des sites Internet à caractère pornographique, dont 200 sur une seule semaine) peuvent justifier une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement (cass. soc. 3 octobre 2018, n° 17-13089).

    Mais encore faut-il prouver que les connexions étaient bien le fait du salarié. En effet, quelle que soit la gravité de la faute invoquée, celle-ci doit être « personnellement imputable » au salarié.

    C’est ce qu’illustre une autre décision rendue le 3 octobre 2018 par la Cour de Cassation.
    Dans cette affaire, la Cour de Cassation relève que « la cour d'appel a constaté que les codes d'accès de chacun des ordinateurs de la société consistaient dans les simples initiales de leurs utilisateurs habituels respectifs et que les doubles des clés de l'ensemble des bureaux étaient également accessibles, de sorte qu'il était possible à n'importe lequel des salariés d'avoir accès au poste informatique du salarié » (Cass. soc. 3 octobre 2018, n° 16-23968).

    La cour d'appel, a pu en déduire que l'imputabilité des faits reprochés au salarié n'était pas établie et que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

    Me Manuel Dambrin

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  • Le témoin n'a pas dit son dernier motLa Cour de Paris écarte la clause d’une transaction par laquelle le salarié s’engage à ne pas témoigner contre son employeur.

    Lorsque les parties à un litige mettent un terme à leur différent dans le cadre d’une transaction, il est fréquent que soit insérée dans le protocole transactionnel, généralement à l’initiative de l’employeur, une clause par laquelle le salarié s’interdit d’apporter son témoignage à des collègues qui seraient à leur tour en conflit avec leur employeur, et prévoyant des pénalités ou la remise en cause de la transaction en cas de transgression.

    La validité d’une telle interdiction a toujours fait débat dans la mesure où la liberté de témoigner constitue une liberté dont la Cour de cassation a plusieurs fois rappelé le caractère fondamental, dans des affaires qui opposaient en général l’employeur à un salarié qui avait fait usage de ce droit.

    Ainsi jugé que doit être annulé le licenciement pour faute grave d’une employée de maison, pour avoir rédigé une attestation destinée à être produite dans le cadre du divorce des époux qui l’employaient (cass. soc. 23 novembre 1994, n° 91-41434, BC V n° 308).

    De même, encourt la nullité le licenciement d’un salarié après qu’il a rédigé une attestation en faveur d’un collègue (cass. soc. 29 octobre 2013, n° 12-22447, BC V n° 252).

    Dans l’espèce jugée par la Cour de Paris le 5 juillet 2018, un salarié licencié avait fait citer une ancienne collègue en qualité de témoin et cette dernière, pour justifier sa non-comparution, se retranchait derrière la transaction qu’elle avait conclue lors de son départ de l’entreprise et dans laquelle les parties s’étaient engagées à ne pas établir de témoignages l’une contre l’autre.

    La Cour d’appel n’invalide pas directement la clause litigieuse mais décide d’outrepasser cette clause transactionnelle en se fondant sur l’article 10 du code civil selon lequel « Chacun est tenu d'apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité. Celui qui, sans motif légitime, se soustrait à cette obligation lorsqu'il en a été légalement requis, peut être contraint d'y satisfaire, au besoin à peine d'astreinte ou d'amende civile, sans préjudice de dommages et intérêts ».

    Encore faut-il souligner que la nature du litige a été déterminant dans la décision des juges d’écarter la clause comportant l’interdiction de témoigner, la Cour d’appel estimant que cette clause « ne constitue pas un motif légitime de refus de témoigner sur des faits argués de manquements à l’obligation de sécurité et de discrimination. La protection de la sécurité et de la santé au travail, ainsi que l’interdiction de comportements discriminatoires, présentent, en effet un caractère de nécessité d’une valeur supérieure à la protection des intérêts privés de l’entreprise ».

    Les juges ont donc ordonné l’audition de la salariée signataire de la transaction, en qualité de témoin et celle-ci devra être présente à la prochaine audience qui portera sur le fond du litige, c’est-à-dire sur l’existence ou non de manquements à l’obligation de sécurité et d’agissements discriminatoires.

    Me Manuel Dambrin

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  • Être ou ne pas être..."cadre dirigeant"Le cadre dirigeant est un salarié à part, qui a ceci de particulier, qu’il est exclu des dispositions protectrices du Code du travail concernant les repos quotidiens et hebdomadaires, les RTT, les durées maximales de travail, le contrôle de la durée du travail, les heures supplémentaires, les jours fériés, le travail de nuit et le paiement des astreintes.

    Mais la qualification de cadre dirigeant ne se décrète pas et ne peut résulter simplement de l’attribution d’un coefficient élevé ou d’une mention dans le contrat de travail ; elle doit correspondre à une réalité qui est définie par l’article L. 3111-2 du Code du travail selon lequel : « Sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ».

    Le cadre dirigeant exige ainsi la réunion de trois critères cumulatifs, à savoir :

    - Une grande indépendance dans l’organisation de son emploi du temps,
    - Une prise de décision de façon largement autonome,
    - Et une perception d’une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans l’entreprise ou l’établissement.

    En d’autres termes, seuls les cadres qui participent vraiment à la direction de l’entreprise appartiennent à la catégorie des cadres dirigeants (cass. soc. 26 novembre 2013, n° 12-21758, BC V n° 283).

    Ainsi par exemple :

    Est cadre dirigeant : le directeur commercial monde qui avait en charge la responsabilité, sous la seule autorité du président du directoire, de la politique commerciale globale de l’entreprise, bénéficiait d’une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés du système de rémunération de l’entreprise, d’une indépendance comme d’une autonomie organisationnelle certaines, en raison notamment des déplacements qu’il était amené à faire, qu’il avait sous sa responsabilité une centaine de salariés et disposait d’une large délégation de signature, sans mention d’une quelconque limitation financière, que ses responsabilités en matière d’élaboration et de mise en œuvre de la politique commerciale de l’entreprise étaient réelles et effectives, faisant ainsi ressortir qu’il participait à la direction de l’entreprise (Cass. Soc., 27 septembre 2018, 17-12.575).

    N'est pas cadre dirigeant : le cadre qui, bien que membre du comité de direction, libre de son emploi du temps, et percevant la rémunération la plus importante de la société après le gérant, n’était pas habilité à prendre des décisions de façon largement autonome, concernant l’organisation globale des activités, n’étant pas justifié qu’il agissait de façon autonome, sans directives préalables du gérant, et aucun document produit permettant de connaître le processus décisionnel dans la société (Cour d'appel de Paris, Pôle 6 - chambre 5, 6 septembre 2018, n° 16/08353).

    La distinction entre le cadre dirigeant et cadre de direction ou cadre autonome n’est parfois pas évidente alors pourtant que l’enjeu de celle-ci est importante, car si les critères légaux du cadre dirigeant ne sont pas vérifiés en pratique, le statut de cadre dirigeant est écarté et le salarié qui s’est vu attribuer cette qualité – fût-ce avec son accord – sera réputé avoir été soumis à la durée légale du travail et pourra le cas échéant prétendre à des RTT, à des rappels de salaire pour les heures effectuées au-delà de 35 heures, aux majorations pour heures supplémentaires et à tous autres avantages résultant de l’application de la durée légale du travail.

    Me Manuel Dambrin

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  • Qui n’a pas rêvé un jour de trouver un trésor au fond de son jardin ? Ou de découvrir dans une maison nouvellement acquise un double-fond dans la cheminée, une trappe cachée dans la bibliothèque, et se découvrir riche soudainement, sans l’avoir mérité par la force de son travail ?

    C’est ce qui est arrivé, dans un premier temps du moins, aux époux Y, qui ont acheté une maison que le vendeur, Monsieur V, avait hérité de ses parents.

    Peu de temps après ladite acquisition, ils ont découvert des lingots d’or enterrés dans le jardin. Il y avait au moins 43 lingots qu’ils ont revendus pour la plupart sans dissimuler leur découverte (déclarée en toute bonne foi aux services de la police) et l’origine de cette soudaine fortune.

    Les frères et sœurs du vendeur initial de la maison, cohéritiers de leurs parents, ont alors assigné les époux Y en restitution des lingots et en indemnisation.

    Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front

    En substance, les époux Y invoquaient la règle de l’article 716 du code de procédure civile selon laquelle « la propriété d’un trésor appartient à celui qui le trouve dans son propre fonds ».

    Ils soutenaient qu’ils avaient régulièrement acquis le sol de la propriété, ainsi que son sous-sol où se trouvaient les lingots, dont ils étaient devenus propriétaires par la même occasion.

    Ils se prévalaient aussi de la règle « en fait de meubles, la possession vaut titre » (article 2276 du code civil), dont ils déduisaient qu’ils n’avaient pas à prouver leur droit de propriété sur les lingots à partir du moment où ils étaient en leur possession.

    Les consorts V, pour leur part, avançaient qu’ils ne pouvaient pas avoir vendu des lingots dont ils ignoraient l’existence et que ces lingots, dont il semblait prouvé qu’ils avaient été acquis par leurs grands-parents qui les avaient dissimulés un peu partout dans la propriété, leur appartenaient en qualité d’héritiers, par voie de succession.

    La réponse de la Cour de cassation (Cass., 1ère civ., 6 juin 2018, n° 17-16.091) s’est située dans la droite ligne des décisions rendues en première instance et en appel, brisant les rêves des découvreurs de trésors :

    « Celui qui découvre, par le pur effet du hasard, une chose cachée ou enfouie a nécessairement conscience, au moment de la découverte, qu’il n’est pas propriétaire de cette chose, et ne peut être considéré comme un possesseur de bonne foi ; que, par suite, il ne saurait se prévaloir des dispositions de l’article 2276 du code civil pour faire échec à l’action en revendication d’une chose ainsi découverte, dont il prétend qu’elle constitue un trésor au sens de l’article 716, alinéa 2, du même code ».

    Les héritiers pouvaient donc librement rapporter la preuve qu’ils étaient propriétaires des biens trouvés.

    Qui plus est, la Cour de cassation a rappelé que l’action des héritiers n’était pas susceptible de prescription, le droit de propriété étant imprescriptible (article 2227 du code civil).

    Tant pis, il va falloir continuer de travailler pour gagner sa vie.

    Me Xavier Chabeuf

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  • L'astreinteLa période d’astreinte est la période pendant laquelle le salarié, « sans être sur son lieu de travail et sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, doit être en mesure d'intervenir pour accomplir un travail au service de l'entreprise » (art. L.3121-9 du Code du Travail).

    Lorsque le salarié est amené à effectuer une intervention pendant son temps d’astreinte, la durée de cette intervention est considérée comme un temps de travail effectif et est payée comme telle.

    Ce temps d’intervention ne doit pas être confondu avec le temps d’astreinte (temps d’attente), qui n’est pas rémunéré comme temps de travail mais qui doit cependant faire l'objet d'une contrepartie, soit sous forme financière (indemnité d’astreinte), soit sous forme de repos.

    L’arrêt rendu par la Cour de Cassation le 12 juillet 2018 (n°17-13.029) illustre cette notion. Le salarié avait été promu « Directeur d'agence », poste pour lequel la société avait mis en place un dispositif de gestion des appels d'urgence permettant aux Directeurs d’être joints en dehors de leurs heures et jours de travail.

    Licencié environ un an après cette promotion et n’ayant pas bénéficié, ni de repos ni d’une indemnisation en contrepartie de cette sujétion, le salarié avait saisi le Conseil de Prud'hommes, notamment, d’une demande d’indemnité d’astreinte.

    La décision prud’homale, confirmée sur ce point en appel, fait droit à cette demande et le pourvoi formé par l’employeur est rejeté.

    La Cour de Cassation énonce en effet « qu'ayant relevé qu'en application d'un document intitulé "procédure de gestion des appels d'urgence", les coordonnées des directeurs d'agence étaient communiquées à la société en charge des appels d'urgence et que ces directeurs d'agence devaient en cas d'appel prendre les mesures adéquates, et qu'à partir du moment où le salarié a été promu directeur d'agence, sans être à la disposition permanente et immédiate de l'employeur, il avait l'obligation de rester en permanence disponible à l'aide de son téléphone portable pour répondre à d'éventuels besoins et se tenir prêt à intervenir en cas de besoin, la cour d'appel a légalement justifié sa décision » (Cass. Soc., 12 juillet 2018, n° 17-13.029).

    Me Manuel Dambrin

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  • Pas de covoiturage avec le véhicule de fonction« Nous avons le regret de constater que, depuis quelques temps, vous utilisez votre véhicule de fonction, sans aucune autorisation, à des fins lucratives. Vous proposez ainsi des trajets payants, à des personnes étrangères à la société, sur le site de covoiturage Blablacar. A cette fin, vous êtes inscrit sur ce site depuis le 9 mai 2011 et avez publié au total 112 annonces. (…) ».

    C’est ainsi qu’était libellée la lettre de licenciement pour faute reçue par le salarié d’une agence de conseil qui profitait de réunions de travail nécessitant des déplacements avec son véhicule de fonction, pour proposer des trajets payants sur le site de covoiturage.

    Considérant la sanction disproportionnée, l’intéressé avait contesté son licenciement, en faisant notamment valoir que le covoiturage n’était pas interdit par le règlement intérieur de l’entreprise.

    Ce moyen de défense n’a cependant pas convaincu la Cour d’appel de Rennes.

    Dans leur arrêt du 31 août 2018 (n° 16/05660), les juges rennais relèvent tout d’abord que « Ayant utilisé un véhicule professionnel, le salarié ne peut se retrancher derrière le caractère privé de cette activité » et ils ajoutent « qu’il appartenait au salarié de tirer les conséquences du silence du règlement intérieur en sollicitant l’autorisation de son employeur lequel, à cette occasion, l’aurait informé que l’assurance ne couvrait pas les personnes transportées dans un tel cadre et, par conséquent, n’aurait pas accédé à sa demande, activité qui était de toute façon interdite par le site sur lequel il était inscrit en raison de son caractère lucratif ».

    Et d’en conclure que « Le fait pour un responsable d’agence de pratiquer le covoiturage avec un véhicule de fonction à l’insu de son employeur, en l’exposant à un risque compte tenu de l’absence de couverture de cette activité par l’assureur, constitue une faute justifiant le licenciement ».

    Me Manuel Dambrin

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  • Si en principe un salarié peut cumuler plusieurs emplois, et si le principe de liberté du travail autorise le salarié à compléter son emploi, même à temps complet, avec un autre emploi, cette liberté ne doit pas, pour des raisons de santé et de sécurité, le conduire à dépasser les durées maximales quotidiennes et hebdomadaires de travail.

    Pour mémoire, sauf dérogations, la durée de travail effectif ne doit pas dépasser 10 heures par jour et la durée de travail effectif hebdomadaire ne doit pas dépasser les deux limites suivantes : 48 heures sur une même semaine, et 44 heures par semaine en moyenne sur une période de 12 semaines consécutives.

    Dissimuler un cumul d'emplois peut constituer une faute graveEn présence d’un salarié qui cumule deux emplois le conduisant à dépasser ces durées, l'employeur doit lui demander de choisir l'emploi qu'il souhaite conserver, en lui accordant un délai de réflexion suffisant. L’employeur a en effet l’obligation de s’assurer que ses salariés ne dépassent pas les durées maximales de travail.

    Commet dès lors une faute grave rendant impossible son maintien dans l'entreprise le salarié qui, en refusant de communiquer à l'employeur les éléments relatifs à l'autre emploi qu'il occupe, empêche ce dernier de vérifier que les durées maximales de travail sont respectées.

    Telle est la solution apportée par la Cassation par son arrêt du 20 juin 2018 (n°16-21.811), dans une affaire où la salariée travaillait à temps partiel pour un premier employeur dans le cadre d'un CDI en qualité d'agent d'entretien et pour un second employeur en tant qu'assistante en contrat à durée déterminée.

    La salariée avait dissimulé son second emploi et, une fois celui-ci découvert par l’employeur, avait refusé de lui communiquer son autre contrat de travail ainsi que les bulletins de paie afférents. Cette sommation restant vaine malgré deux mises en demeure, l'employeur avait licencié la salariée pour faute grave.

    Me Manuel Dambrin

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  • La règle générale en matière contractuelle (article 1211 du code civil) est que chaque partie à un contrat conclu pour une durée indéterminée peut y mettre fin à tout moment sous réserve de respecter un préavis.

    En revanche, si le contrat est à durée déterminée, c’est-à-dire si son terme est fixé par un événement certain (même si la date de sa réalisation est inconnue, dès lors que cette réalisation est indépendante de la volonté de l’un des parties), chaque partie doit l’exécuter jusqu’à son terme et nul ne peut en exiger le renouvellement (article 1212 du code civil).

    Les pactes d’actionnaires également, peuvent être à durée déterminée ou indéterminée.

    Ceux qui sont à durée déterminée ne nous intéressent pas ici : ils durent pendant la période fixée d’avance ou jusqu’à l’événement qui y met un terme.

    Mais qu’en est-il de la grande majorité des pactes d’actionnaires, applicables tant que leurs signataires demeurent actionnaires de la société ?

    La Cour de cassation a retenu, dans un arrêt rendu le 20 décembre 2017 (Télécharger « Cour_de_cassation_civile_Chambre_commerciale_20_décembre_2017_16-22.099_Inédit.rtf ») que, conclus pour une durée indéterminée, ils sont résiliables à tout moment par l’un des signataires (sous réserve, ainsi que le prévoit l’article 1211 du code civil, de prévoir un délai de préavis).

    Attention aux pactes d’actionnaires à durée indéterminée, résiliables à tout moment !

    Dans le cas d’espèce ayant donné lieu à l’arrêt précité, les deux actionnaires avaient conclu un pacte organisant les conditions de sortie de capital de deux actionnaires importants d’une société.

    Huit mois après, l’un des deux associés mettait un terme au pacte de façon unilatérale.

    L’autre signataire du pacte le poursuivait en lui réclamant des dommages et intérêts et soutenait que l’accord était à durée déterminée car le terme extinctif du pacte tenait à la perte de la qualité d’actionnaire.

    Cette argumentation apparemment astucieuse a été rejetée, le pacte considéré comme étant à durée indéterminée et donc susceptible, comme tel, d’être résilié à tout moment.

    Cette décision fragilise singulièrement tous les pactes d’actionnaires que leur rédaction rend applicables tant que leurs signataires sont actionnaires de la société objet du pacte : étant de durée indéterminée et résiliables unilatéralement, ils n’ont sans doute pas la portée que leurs signataires leur accordaient lors de la signature.

    N’importe quelle partie peut désormais, sans avoir à en justifier et en respectant un simple préavis, se délier de ses engagements…

    Il importe par conséquent, dans la rédaction des pactes d’actionnaires à venir, de prévoir un terme fixe afin que les pactes soient à durée déterminée.

    Quant aux pactes existants, l’on peut hésiter entre les renégocier afin de leur conférer un terme fixe ou ignorer la nouvelle jurisprudence afin de ne pas signaler aux actionnaires qu’ils ont la possibilité de sortir du pacte simplement et en toute légalité.

    La solution d’un pacte d’actionnaires résiliable unilatéralement, sans motif, est en effet usuellement contraire à l’objectif assigné au pacte de stabilité de l’actionnariat et de respect de conditions qui ont pu justifier la présence au capital d’un ou plusieurs associés.

    Offrir à ces derniers la possibilité de violer leurs engagements en toute bonne conscience est susceptible d’entraîner des réactions en chaîne dont on peut se demander si elles ont bien été évaluées par la Cour de cassation lorsqu’elle a rendu l’arrêt ici évoqué.

    Me Xavier Chabeuf

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