• C’est l’histoire d’un employeur qui, pour se défendre d’une action prud’homale engagée à son encontre par une ancienne salariée, avait présenté comme preuve des informations extraites du compte Facebook de cette dernière, qu’il avait obtenues à partir du téléphone portable professionnel d'un collègue.Les amis de vos amis ne sont pas vos amis


    L’employeur faisait valoir, et ce à juste titre, que les informations recueillies au moyen d'un téléphone, mis à la disposition d'un salarié pour les besoins de son travail, sont présumées avoir un caractère professionnel et qu’elles constituent donc un mode de preuve licite (Cass. Com. 10 Février 2015, n°13-14779).


    Certes, mais les informations en cause avaient pour origine – avant de transiter par le portable professionnel du collègue – un compte Facebook dont la salariée avait restreint l’accès à certaines personnes identifiées comme « amies ».


    Dès lors, ces informations ne pouvaient pas servir de preuve dans le procès opposant l’employeur à la salariée et en y accédant, l’employeur a porté une « atteinte disproportionnée et déloyale à la vie privée de la salariée », justifiant l’octroi de dommages et intérêts : « Mais attendu qu'ayant relevé que le procès-verbal de constat d'huissier établi le 28 mars 2012 à la demande de la société Jesana rapportait des informations extraites du compte facebook de la salariée, obtenues à partir du téléphone portable d'un autre salarié, informations réservées aux personnes autorisées, la cour d'appel a pu en déduire que l'employeur ne pouvait y accéder sans porter une atteinte disproportionnée et déloyale à la vie privée de la salariée » (cass. soc. 20 décembre 2017, n° 16-19.609).


    Moralité, les amis de vos amis ne sont pas vos amis.


    Me Manuel Dambrin

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  • Conséquence de la liberté de circulation des personnes, l’une des quatre libertés essentielles qui fondent l’Union européenne, les citoyens européens qui vivent dans un autre Etat de l’Union que leur Etat d’origine sont de plus en plus nombreux.

    Près de trois millions de ressortissants européens vivent en France tandis qu’environ 140.000 Français vivent au Royaume-Uni (malheureusement non concerné par le sujet de cet article), 120.000 en Belgique et en Allemagne, 85.000 en Espagne, 45.000 en Italie.

    Le droit européen s’efforce depuis de nombreuses années de prévoir des règles permettant de faciliter la vie des citoyens européens qui peuvent être conduits à se marier, à divorcer, à avoir des enfants et à mourir dans des pays de l'Union différents de celui de leur nationalité.

    Le règlement (UE) n° 950/2012 du 4 juillet 2012 réformant les successions transfrontalières a remplacé les règles de droit international privé applicables jusqu’alors.

    Depuis, à moins que la personne décédée ait décidé au préalable du droit applicable à sa succession par testament, la loi qui régit cette succession est celle de l’Etat dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès.

    Le certificat successoral européen : faciliter l’organisation des successions dans l’Union européenne

     

    Et ce quelle que soit la nature des biens concernés (alors qu’auparavant, par exemple, les biens immobiliers étaient soumis à la loi de l’Etat où ils se trouvaient, ce qui pouvait conduire à des situations d’une grande complexité).

    Ainsi, par exemple, si un ressortissant allemand décède en France, où il résidait habituellement, c’est la loi française qui va s’appliquer à sa succession, et donc à l’ensemble de ses biens, où qu’ils se trouvent. Ce sera le cas de son appartement encore situé en Allemagne, de sa maison de Provence, de ses actions logées au Luxembourg, par exemple.

    Dans ce cas, il faut faciliter la transmission d’information dans l’Union européenne afin que l’autorité en charge de préparer la succession (le notaire en France) puisse disposer des informations lui permettant de connaître l’identité des héritiers du défunt.

    Tel est l’objet du certificat successoral, prévu aux articles 1381-1 et suivants du Code de procédure civile.

    Il permet à la personne qui en fait la demande de faire la preuve de (i) sa qualité d’héritier ou de légataire ; (ii) sa quote-part dans la succession ; (iii) l’attribution à son bénéfice de biens faisant partie de la succession ; (iv) l’identité et des pouvoirs reconnus par le défunt à l’exécuteur testamentaire.

    Il est valable dans toute l’Union européenne, sauf au Royaume-Uni, en Irlande, et au Danemark, pour une durée de six mois.

    En France, la demande est formulée auprès d’un notaire qui remet une copie certifiée conforme du certificat successoral européen.

    Le notaire demandera naturellement des justificatifs à la personne afin de déterminer qu’elle a bien la qualité de successible, comme il le ferait pour une succession ouverte en France.

    Muni de ce document, l’héritier peut ensuite faire valoir ses droits dans une succession ouverte dans n’importe quel Etat de l’Union européenne.

    Le certificat successoral européen constitue par conséquent un instrument de simplification bien utile.

    Il ne mettra cependant pas fin aux discussions concernant la notion de résidence habituelle, l'interprétation des testaments ou encore la consistance des successions, dont la complexité est accrue dans un contexte international.

     

    Me Xavier Chabeuf

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  • Avocats salariés : nullité du forfait jourLe forfait jour est un dispositif de décompte du temps de travail en jours travaillés sur l’année, qui déroge au droit commun en la matière, consistant à décompter le temps de travail sur la base de 35 heures hebdomadaires et à payer toute heure au-delà de la 35ème, en heures supplémentaires.


    Ce dispositif étant susceptible d’éluder les règles impératives relatives aux repos quotidiens (au moins 11 heures consécutives) et hebdomadaires (au moins 35 heures consécutives), sa mise en œuvre est soumise à des conditions très strictes.


    Outre le fait que la convention de forfait-jour doit figurer dans le contrat de travail, il est nécessaire que le recours à celle-ci soit prévue par la convention collective et, surtout, que cet accord comporte « des stipulations garantissant le respect de durées raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ».


    Bon nombre de conventions collectives ont été jugées défaillantes à cet égard, parfois au ravissement des salariés concernés – généralement des cadres ne comptant pas leur temps de travail – qui ont ainsi pu faire recalculer leur temps de travail sur une base de 35 heures hebdomadaires et solliciter le règlement d’heures supplémentaires sur plusieurs années, sans omettre de faire valoir toute sorte de préjudices associés (repos compensateurs, dommages et intérêts pour non-respect des temps de repos, indemnité pour travail dissimulé, etc…).

    C’est maintenant au tour de la convention collective des avocats salariés d’être retoquée.


    Par un arrêt du 8 novembre 2017 (n°15-22.758), la Cour de cassation vient de juger que ce texte – plus précisément les dispositions de l'avenant n° 7 du 7 avril 2000 relatif à la réduction du temps de travail – « ne permet pas à l'employeur de remédier en temps utile à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable, de nature à garantir que l'amplitude et la charge de travail restent raisonnables et assurent une bonne répartition, dans le temps, du travail ».


    En conséquence, dit la Cour de Cassation, c’est à tort que la Cour d’appel a validé la convention de forfait-jours de l’avocat salarié, celle-ci devant au contraire être déclarée nulle et de nul effet.


    Me Manuel DAMBRIN

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  • Poursuivant l’objectif annoncé de sécuriser la rupture du contrat de travail, et par conséquent de limiter - croit-on - le contentieux prud’homal, l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 a redéfini l’obligation de reclassement en cas de licenciement pour motif économique (C. trav., art. L. 1233-4).


    Rappelons que l’obligation de reclassement fait partie intégrante du motif économique et que la violation de cette obligation par l’employeur prive le licenciement de cause réelle et sérieuse.

    Le reclassement nouveau est arrivé !


    Pour satisfaire à son obligation en la matière, l’employeur peut désormais choisir :


    - soit d’adresser de manière personnalisée les offres de reclassement à chaque salarié ;
    - soit de diffuser par tout moyen une liste de postes disponibles à l’ensemble des salariés.


    Quelle que soit l’option choisie, le degré d’information exigé est identique. Selon l’article D. 1233-2-1 du code du travail, les offres écrites précisent :


    -l’intitulé du poste et son descriptif ;
    -le nom de l’employeur ;
    -la nature du contrat de travail ;
    -la localisation du poste ;
    -le niveau de rémunération ;
    -la classification du poste.


    Le décret précise que « En cas de diffusion d’une liste des offres de reclassement interne, celle-ci comprend les postes disponibles situés sur le territoire national dans l’entreprise et les autres entreprises du groupe dont l’entreprise fait partie » et que cette liste doit préciser les critères de départage entre salariés en cas de candidatures multiples sur un même poste et, le cas échéant, faire l’objet d’une actualisation.


    La liste d’offres doit en outre indiquer « le délai dont dispose le salarié pour présenter sa candidature écrite », qui ne peut être inférieur à quinze jours francs à compter de la publication de la liste, sauf si l’entreprise fait l’objet d’une procédure collective, auquel cas le délai peut être réduit, sans pouvoir « être inférieur à quatre jours ».


    L’absence de candidature écrite du salarié à l’issue du délai de réflexion fixé par l’employeur vaut refus des offres.


    Ces nouvelles règles peuvent apparaître plus souples que les critères jurisprudentiels jusqu’alors en vigueur, mais ceux-ci avaient le mérite de laisser une place à l’appréciation du juge, au cas par cas. Les conditions qui sont désormais posées en terme de précision des offres et de délai risquent, en cas de méconnaissance par l’employeur, d’entrainer des sanctions imparables.


    Me Manuel Dambrin

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  • Employé de maison : inapplicabilité des dispositions sur la durée du travailLe principe est que le contrat de travail à temps partiel, qu’il soit à durée déterminée ou indéterminée, doit obligatoirement être conclu par écrit (C. Trav. art. L.3123-6). A défaut, le contrat s’expose à une requalification en temps plein et l’employeur risque d’être condamné à payer au salarié un rappel de salaire correspondant à la différence entre le salaire effectivement payé et le salaire qui aurait été payé pour un temps plein, peu important l’absence de prestation de travail correspondante.


    La Cour de cassation vient opportunément de rappeler que les dispositions du code du travail relatives à la durée du travail et au travail à temps partiel ne sont pas applicables aux employés de maison qui travaillent au domicile privé de leur employeur et sont soumis à la convention collective nationale des salariés du particulier employeur du 24 novembre 1999 (Soc. 7 déc. 2017, FS-P+B, n° 16-12.809).


    Dans cette affaire très banale, une salariée avait été embauchée sans contrat écrit en qualité d’aide à domicile dans le cadre du dispositif du chèque emploi-service universel (CESU) sur une base de huit heures hebdomadaires.


    Se fondant sur l’absence de contrat écrit et sur le fait qu’elle avait en réalité accomplie bien plus d’heures, elle sollicitait un rappel de salaire et, accessoirement, une indemnité pour travail dissimulé.


    La Cour d’appel lui donnait raison au motif que « la salariée ayant travaillé plus de huit heures par semaine, le contrat est donc, faute d’écrit, présumé à temps complet, que faute de justifier du temps de travail accompli par son employée de maison, ni même de ses temps de présence en Normandie puisque sa résidence principale se trouvait en région parisienne, l’employeur ne rapporte pas la preuve qui lui incombe des heures de travail effectuées exactement par la salariée, qu’il y a lieu de le condamner à verser à la salariée la somme que cette dernière réclame en complément de celles perçues pour rémunérer le temps plein présumé ».


    La juridiction Suprême censure cette décision en rappelant l’article L.7221-2 du Code du travail qui vise les seules dispositions du code du travail applicables aux travailleurs employés au domicile des particuliers.
    Ces dispositions sont celles relatives au harcèlement moral et sexuel, à la journée du 1er mai, aux congés payés, aux congés pour événements familiaux et à la surveillance médicale.


    Parmi ces dispositions, ne figurent pas celles relatives au temps de travail.


    Aussi bien, selon la Cour de cassation, la requalification du temps partiel n’était-elle pas encourue faute de contrat écrit et la Cour d’appel, qui avait constaté que l’employeur occupait la salariée plus de huit heures par semaine sans contrat écrit, aurait dû se borner à évaluer le nombre d’heures de travail accomplies par la salariée et à fixer les créances de salaire s’y rapportant.


    Me Manuel Dambrin

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  • Le droit à la présomption d’innocence ne prive pas l’employeur de se prévaloir de faits dont il  a eu connaissance dans le cadre d’une procédure pénale pour licencier un salarié qui n’a finalement pas été poursuivi pénalement.


    C’est ce principe de l’indépendance entre procédure disciplinaire et procédure pénale, que vient rappeler un récent arrêt de la Cour de cassation en date du 13 décembre 2017 (n° 16-17.193).


    Les faits étaient les suivants :


    Le salarié travaillait en tant qu’« assistant spectacle » au sein de la société Euro Disney et avait été auditionné par les services de police dans le cadre d’une enquête relative à un trafic de stupéfiants entre salariés au sein du parc d’attraction.


    Il n’avait finalement, ni été mis en examen, ni fait l’objet d’une condamnation.

    Il fût cependant licencié pour faute grave, sur la base des déclarations qu’il avait faites lors de son audition pénale.
     

    La Cour d’appel de Paris avait annulé le licenciement en considérant notamment qu’il « ne saurait être autorisé de fonder un licenciement sur des déclarations faites par un salarié lors d’une audition auprès des services de police menant une enquête pénale (…) ; qu’un licenciement intervenu dans ces conditions en violation de cette liberté fondamentale que constitue la présomption d’innocence, ne peut qu’être déclaré nul ».

    La présomption d'innocence de protège pas du licenciementLa Cour de Cassation n’a pas été de cet avis et donne raison à l’employeur.


    Dans sa décision cassant l’arrêt de la Cour d’appel, elle juge que « le droit à la présomption d’innocence qui interdit de présenter publiquement une personne poursuivie pénalement comme coupable, avant condamnation, d’une infraction pénale n’a pas pour effet d’interdire à un employeur de se prévaloir de faits dont il a régulièrement eu connaissance au cours d’une procédure pénale à l’appui d’un licenciement à l’encontre d’un salarié qui n’a pas été poursuivi pénalement », et que « la procédure disciplinaire est indépendante de la procédure pénale, de sorte que l’exercice par l’employeur de son pouvoir disciplinaire ne méconnaît pas le principe de la présomption d’innocence lorsque l’employeur prononce une sanction pour des faits identiques à ceux visés par la procédure pénale ».


    Ce qui n’est pas pénalement répréhensible peut être disciplinairement sanctionnable, et vice versa, d’ailleurs !
     

    Me Manuel Dambrin

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  • Le salarié est, en principe, libre de se vêtir à sa guise. L'employeur peut néanmoins imposer des contraintes vestimentaires notamment pour des questions d'hygiène et de sécurité (chaussures de sécurité ou blouse de travail par exemple) ou en raison du contact que le salarié peut avoir avec la clientèle (port d’un uniforme distinctif).

    Selon la formule consacrée, ces limites apportées à la liberté vestimentaire doivent être « justifiées par la nature de la tâche à accomplir [et] proportionnées au but recherché » (art. L1121-1 du code du travail).

    Le juge apprécie au cas par cas si les restrictions apportées à la liberté de se vêtir des salariés sont légitimes en fonction du contexte. La « tenue correcte exigée » n’est pas la même dans tous les milieux professionnels.

    Il a ainsi pu être exigé d’un veilleur de nuit d’hôtel, qu’il porte une cravate (CA Paris 18 janvier 1991, 22e ch. B), d’une secrétaire au sein d’une agence immobilière, qu’elle ne se présente pas au travail en survêtement (cass. soc. 6 novembre 2001, n° 99-43988) ou d’une autre qu’elle ne vienne pas vêtue d’un chemisier transparent sans soutien-gorge, sa tenue suggestive pouvant susciter un trouble dans l’entreprise (cass. soc. 22 juillet 1986, n° 82-43824).

    Balance ton shortEn revanche, ni le fait de porter des vêtements moulants, ni de simples négligences vestimentaires (cass. soc. 24 janvier 1991, n° 89-40761 D) ne peuvent être reprochés à un salarié.

    De la même façon, l’employeur peut imposer une apparence physique à la stricte condition que cette exigence soit justifiée, proportionnée et non discriminatoire. Les juges ont ainsi admis qu'un pâtissier devait se couper les cheveux qu’il portait longs et sales ou les dissimuler sous une coiffe, cette restriction à sa liberté répondant à des impératifs d’hygiène (CA Paris 28 mars 1989, 22e ch. A).

    À l’inverse, l'employeur ne peut pas imposer à un salarié n'ayant pas de contact avec la clientèle de ne pas porter la barbe (CA Nîmes 14 mai 1996, ch. soc.).

    De même, l'employeur prend une décision discriminatoire en interdisant à un serveur de porter une boucle d'oreille, même s'il fait valoir « que son restaurant gastronomique recevait une clientèle attirée par sa réputation de marque, laquelle impose une tenue sobre du personnel en salle, que le salarié était au contact direct de cette clientèle et qu'ainsi le port de boucles d'oreilles pendant la durée du service était incompatible avec ses fonctions et ses conditions de travail ». La lettre de licenciement énonçant que « votre statut au service de la clientèle ne nous permettait pas de tolérer le port de boucles d'oreilles sur l'homme que vous êtes », c'est l'apparence physique du salarié rapportée à son sexe qui était sanctionnée, l'employeur ne justifiant pas sa décision de lui imposer d'enlever ses boucles d'oreilles par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination (cass. soc. 11 janvier 2012, n° 10-28213, BC V n° 12).

    L’employeur peut inscrire dans le règlement intérieur les règles relatives à la tenue vestimentaire dans l’entreprise sachant que les restrictions apportées à la liberté de se vêtir doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et être proportionnées au but recherché. Par exemple, une clause imposant à tous de porter un uniforme sans aucune raison objective ou interdisant de porter tout badge et tout insigne serait disproportionnée, de même qu’une clause imposant le port d’une tenue vestimentaire, d'une coiffure ou le maquillage pour des raisons d’ordre purement esthétique serait illicite.

    L’importance du règlement intérieur doit être souligné dans la mesure où faire des reproches à un salarié sur sa tenue vestimentaire suppose d'avoir, au préalable, défini la tenue exigée et inscrit cette règle dans son règlement intérieur ou dans le contrat de travail.

    Me Manuel DAMBRIN

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  • On lit parfois que le devoir de fidélité figurant encore à l’article 212 du code civil (« les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours et assistance ») est tombé en déshérence.

    Et il est vrai que le droit a suivi des mœurs qui ont profondément évolué au cours des quarante dernières années et que le devoir de fidélité s’est édulcoré. S’il continue à être proclamé comme un idéal, il n’est en général plus sanctionné par les Tribunaux.

    Or que vaut une règle si sa violation n’entraîne pas de conséquences pour celui qui l’enfreint ?

    Le devoir de fidélité n’a cependant pas disparu complètement et peut justifier, dans le cadre d’un divorce prononcé aux torts exclusifs d’un époux, sa condamnation à verser à l’époux bafoué des dommages et intérêts pour le préjudice moral causé. Cette condamnation reste en pratique d’un montant symbolique quant à son montant.

    Il est pourtant un domaine où l’adultère est susceptible d’entraîner des conséquences patrimoniales lourdes pour l’époux volage : le droit des successions.

    C’est ce que vient de rappeler avec une vigueur certaine la Cour de cassation dans un arrêt du 25 octobre 2017 (Cass., 1ère civ., 25 octobre 2017, n° 16-21.136) : l’adultère constitue une cause d’ingratitude au sens de l’article 955 du code civil.

    Adultère et révocation de la donation pour ingratitude

     

    Cet article prévoit que « la donation entre vifs ne pourra être révoquée pour cause d’ingratitude que dans les cas suivants : 1° Si le donataire a attenté à la vie du donateur ; 2° S’il s’est rendu coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves ; 3° S’il lui refuse des aliments ».

    Ainsi, tant le donateur que ses héritiers peuvent former une demande en révocation de la donation entre époux pour cause d’ingratitude (laquelle se prescrit dans le délai très bref d’un an à compter du fait reproché au bénéficiaire de la donation ou de sa connaissance par le donateur).

    Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt ci-dessus, un homme avait fait une donation au dernier vivant à sa seconde épouse.

    Postérieurement à cette donation, l’épouse s’est rendue coupable d’adultère envers son mari, ce dont ce dernier a d’abord été instruit par la rumeur publique, avant d’obtenir confirmation directe de l’outrage, lequel l’a profondément blessé, ce d’autant que son épouse le trompait avec l’un de ses amis.

    Précisons que les faits se déroulaient dans un village corse, que l’inconduite de l’épouse était notoire, que l’époux était amoureux de sa femme, et qu’il a fini par mettre fin à ses jours.

    Dans le délai d’un an suivant la découverte des faits, les enfants du défunt, issus d’une précédente union, ont assigné l’épouse en révocation de la donation au dernier vivant qui lui avait été consentie.

    La Cour de cassation a retenu que la Cour d’appel de Bastia avait pu considérer, au vu des faits exposés ci-dessus, que la gravité de l’injure faite au défunt par son épouse infidèle constituait une cause d’ingratitude justifiant la révocation de la donation qui lui avait été consentie.

    L’épouse sanctionnée n’est cependant pas privée de tout droit sur la succession de son mari, et demeure habilitée à percevoir la part qui lui est légalement reconnue par l’article 757 du code de procédure civile (soit un quart en pleine propriété dans le cas qui nous intéresse ici puisqu’en présence d’enfants issus d’une précédente union le conjoint survivant est privé de la possibilité d’opter pour le bénéfice de l’usufruit sur la totalité de la succession) ; seule la donation est affectée par l’action engagée par les enfants.

    Qui dira que le code civil ne préserve pas une forme de morale publique ?

    Me Xavier Chabeuf

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  • Coup de frois sur le plafonnement des indemnités prud'homales ?Le plafonnement des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est désormais inscrit dans le code du travail à l’article L.1235-3 qui prévoit un barème qui varie de 1 à 20 mois de salaire en fonction de l’ancienneté du salarié.


    Mais pour combien de temps ?


    C’est la question que l’on peut se poser à la lecture de la décision rendue le 8 septembre 2016 par le Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS). Ce dernier a en effet condamné le dispositif de plafonnement des indemnités de licenciement injustifié instauré par la législation du travail finlandaise, qu’il a jugé contraire à l'article 24 de la Charte Sociale Européenne (CSE) révisée (CEDS 8 sept. 2016, n° 106/2014, Finnish Society of Social Rights c. Finlande).


    Pour invalider la loi finlandaise, le CEDS a rappelé que l'article 24 garantit « le droit des travailleurs, licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ». Le Comité a considéré que ce but est atteint lorsque le dispositif national prévoit le remboursement des pertes financières subies entre la date de licenciement et la décision de l'organe de recours, la possibilité de réintégration ainsi que des indemnités d'un montant suffisamment élevé pour dissuader l'employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime.


    En résumé, l’indemnisation doit répondre à deux fonctions : la compensation du préjudice subi par le salarié et la dissuasion de l'employeur.


    En l’occurrence, l'article 2 de la loi finlandaise n° 398/2013 régissant les contrats de travail encadrait l'indemnité de licenciement injustifié en prévoyant un minimum de trois mois et un maximum de vingt-quatre mois de salaire. Dans ses motifs, le CEDS estime que « tout plafonnement qui aurait pour effet que les indemnités octroyées ne sont pas en rapport avec le préjudice subi et ne sont pas suffisamment dissuasives est en principe, contraire à la Charte » et que, en l'espèce « dans certains cas de licenciement abusif, l'octroi d'une indemnisation à hauteur de 24 mois prévue par la loi relative au contrat de travail peut ne pas suffire pour compenser les pertes et les préjudices subis ». Le CEDS condamne finalement la Finlande sur le terrain de la compensation du préjudice subi par le salarié.


    Pour autant, le CEDS ne condamne pas par principe le plafonnement, mais à condition qu’il existe des voies de droit alternatives permettant une indemnisation complémentaire du préjudice subi par le salarié : le salarié « doit pouvoir demander réparation pour le préjudice moral subi par d'autres voies de droit » (Décis. du CEDS, 8 sept. 2016, § 46).
     

    Pour défendre sa loi, le gouvernement finlandais exploitait cette voie en faisant valoir qu’une loi n° 412/1974 relative à la responsabilité civile permet de compléter les indemnités de licenciement injustifié par une réparation sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile. Cependant, le CEDS a constaté que cette loi ne permet que la réparation du préjudice résultant d'un licenciement discriminatoire. Hors cas de discrimination, la loi finlandaise n'ouvre aucune voie de droit alternative au salarié licencié de manière injustifiée.


    En somme, la législation finlandaise, selon le Comité, laisse donc « subsister des situations dans lesquelles l'indemnisation accordée ne couvre pas le préjudice subi ». Le CEDS décide donc que la législation finlandaise viole l'article 24 de la CSE révisée.


    De là à dire que cette décision du CEDS qui condamne la loi finlandaise est transposable à la loi française, il n’y a qu’un pas.
    En France, l'indemnisation du licenciement injustifié est doublement limitée par les dispositions de l'ordonnance n° 2017-1387.

    D'une part, l'article 2 de l'ordonnance n° 2017-1387 prévoit une indemnité maximale comprise entre 1 mois de salaire brut pour les salariés ayant moins d'un an d'ancienneté et 20 mois de salaire brut à compter de vingt-neuf ans d'ancienneté. Déjà à ce stade la violation de l'article 24 de la Charte par la France est envisageable dans la mesure où le plafond fixé par l'ordonnance est inférieur aux 24 mois de salaire prévus par la loi finlandaise.

    D'autre part, en admettant que le salarié perçoive l'indemnité maximale pour licenciement injustifié, l'indemnité est limitée par la règle qui autorise le juge à prendre en compte les « indemnités de licenciement versées à l'occasion de la rupture » (art. L. 1235-3). Autrement dit, l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi peut être réduite au nom d'indemnités ayant un autre objet que la réparation de la simple perte de l'emploi.


    En outre, concernant le caractère dissuasif de l'indemnité, on peut se demander si le droit français est compatible avec l'article 24 de la CSE révisée. En effet, le gouvernement a mis en place, en novembre 2017, un simulateur des indemnités en cas de licenciement injustifié permettant aux employeurs de vérifier s'ils peuvent ou non prendre le risque de licencier un salarié. Cette possibilité offerte aux employeurs ne paraît guère compatible avec la fonction de dissuasion que doit remplir l'indemnisation de licenciement injustifié du salarié.


    Enfin, on cherche vainement (à de rares exceptions près) les voies de droit alternatives en droit français satisfaisant aux exigences du CEDS. Si le droit commun de la responsabilité civile s'applique lorsque le licenciement a été prononcé dans des conditions brutales ou vexatoires, cette indemnisation ne répare pas la perte injustifiée de l'emploi mais le préjudice moral lié à la rupture du contrat. Au sens de la décision du Comité européen, cette action ne peut pas constituer une voie de droit alternative afin de réparer intégralement le licenciement injustifié.


    S’il passe le contrôle de constitutionalité, le plafonnement des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en droit français pourrait ne pas franchir le contrôle de conventionalité, qui vise à assurer la supériorité des engagements internationaux et européens que la France a ratifiés sur les lois et les règlements internes.


    Me Manuel DAMBRIN

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  • En principe, le salarié dont le licenciement est remis en cause par le juge ne peut prétendre qu'à une réparation de nature indemnitaire (indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse). Il ne peut obtenir sa réintégration dans l'entreprise, que dans deux hypothèses : lorsqu'un texte de loi le prévoit (par exemple en cas de licenciement discriminatoire ou consécutif à des agissements de harcèlement moral ou sexuel) ou lorsqu'une liberté fondamentale du salarié a été violée. Ainsi en est-il du licenciement prononcé en raison d'un témoignage en justice qui viole la liberté fondamentale de témoigner en justice (Cass. soc., 29 oct. 2013, n° 12-22.447) ou encore du prononcé en raison d'une action en justice intentée par le salarié, qui viole la liberté fondamentale d'ester en justice (Cass. soc., 3 févr. 2016, n° 14-18.600, Cass. soc., 8 févr. 2017, n° 15-28.085). La liste est longue, allant de la liberté d’expression, au droit au repos en passant par le droit à la vie privée.  

    La cour d'appel de Rennes a appliqué ces règles jurisprudentielles à un cas de rupture d'un contrat de travail temporaire requalifié en CDI. Dans cette affaire, un technicien informatique avait été mis à la disposition d'une entreprise dans le cadre d'une série de missions conclues en raison d'un accroissement temporaire d'activité. Constatant la violation de certaines dispositions restreignant le recours au travail temporaire, le salarié avait saisi le conseil de prud'hommes en référé, avant que sa dernière mission ne s'achève. Il souhaitait obtenir la requalification de ses contrats de mission en CDI, et obtenir la poursuite de la relation contractuelle avec l'entreprise.

    Le droit à l'emploi n'est pas un droit fondamentalLa cour d'appel a fait droit à cette demande en affirmant que le maintien dans l’emploi, suite à la violation des dispositions relatives aux conditions restrictives de recours au travail temporaire constituait une liberté fondamentale.

    Ce raisonnement est cependant censuré par la Cour de cassation, qui affirme que "le droit à l’emploi ne constitue pas une liberté fondamentale qui justifierait la poursuite du contrat de travail au-delà du terme de la mission de travail temporaire en cas d’action en requalification en contrat à durée indéterminée", alors pourtant que ce droit est visé par le 5e alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

    Ainsi, un justiciable ne peut pas invoquer directement dans le cadre d’un litige une violation de son droit à l’emploi.

    La Cour de cassation affirmait déjà que, lorsqu'un CDD expiré est requalifié en CDI, l'employeur qui ne fournit plus de travail et ne paye plus les salaires est responsable de la rupture qui s'analyse en un licenciement. Le salarié ne peut pas exiger sa réintégration dans l'entreprise, puisqu'aucun texte de loi ne le prévoit et qu'aucune liberté fondamentale n'a été violée (Cass. soc., 30 oct. 2002, n° 00-45.608, Cass. soc., 30 oct. 2013, n° 12-21.205).

     

    Me Manuel DAMBRIN

     

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