• Actions gratuites, licenciement et perte de chance

    Actions gratuites, licenciement et perte de chanceL'attribution d'actions gratuites, ou AGA, est la possibilité offerte à une société, cotée ou non cotée en bourse, d’attribuer gratuitement à des salariés un certain nombre de ses actions, en complément de la rémunération. L'attribution gratuite d'actions constitue un outil de motivation des salariés souvent utilisé par les entreprises de croissance. Elle permet d'éviter toute sortie d'argent au bénéficiaire et d'associer certains salariés au développement de la société.


    Dans une logique de fidélisation, le règlement du plan d’attribution prévoit généralement que les salariés ne deviennent propriétaires des actions qu’après un certain délai suivant leur attribution (généralement deux ans) et ce, à condition qu’ils exercent toujours leurs fonctions à cette date.


    D’où la question : que se passe-t-il si le salarié est licencié abusivement entre la date à laquelle il s’est vu attribuer les actions et la date à laquelle il en devient pleinement propriétaire ?


    La question n’est pas nouvelle mais sa solution vient d’être rappelée par la Cour de Cassation dans l’affaire qui a donné lieu à sa décision du 7 février 2018 (n° 16-11635).


    Dans cette affaire, plusieurs salariés avaient été licenciés en janvier 2011 tandis qu’ils s’étaient vu attribués des actions gratuites dont la propriété ne devait leur être transféré qu’en décembre 2011 soit à une date assez éloignée de leurs licenciements.


    Après avoir jugé que les licenciements étaient injustifiés, la Cour d’appel a estimé que l’employeur avaient privé indûment les salariés de l’avantage financier que constituaient ces actions et, en réparation, leur a alloué une indemnisation correspondant au prix atteint par les actions en décembre 2011 soit à la date à laquelle les salariés en seraient devenus propriétaires s’ils n’avaient pas été licenciés.


    Cette solution est logiquement censurée.


    La Cour de cassation rappelle en effet que « le salarié qui n'a pu, du fait de son licenciement sans cause réelle et sérieuse intervenu avant le terme de la période d'acquisition, se voir attribuer de manière définitive des actions gratuites, [ne] subit [qu’] une perte de chance ».


    La « perte de chance » est le préjudice résultant de la disparition de la probabilité d’un évènement favorable et qui donne lieu à une réparation partielle, en fonction de la probabilité qu’avait l’évènement, de se réaliser. La perte de chance ne peut donc pas être indemnisée à hauteur de l’avantage espéré.


    Autrement dit, en l’espèce, les licenciements ont certes fait obstacle à l’acquisition de la propriété des actions, mais s’ils n’avaient pas été prononcés, d’autres évènements, non nécessairement imputables à la faute de l’employeur, auraient pu survenir entre janvier 2011 (date des licenciements) et décembre 2011 (date d’acquisition des actions) et compromettre cette acquisition d’action, n’engageant alors pas la responsabilité de l’employeur et n’ouvrant pas droit à réparation. On pense à la démission, à la liquidation judiciaire ou encore à l’éventualité d’un licenciement reposant sur une cause réelle et sérieuse.


    Il reviendra donc à la Cour d’appel de renvoi – devant laquelle l’affaire est renvoyée après cassation – d’évaluer la perte de chance subie par les salariés en fonction de la probabilité que ces derniers avaient de quitter l’entreprise avant la date du transfert de propriété des actions.


    Me Manuel Dambrin

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