• Harcèlement : l'enquête impossibleLorsqu’il est saisi d’une dénonciation de harcèlement moral, l’employeur doit déclencher une enquête interne de nature à établir les responsabilités et à sanctionner, le cas échéant, le ou les auteurs du harcèlement.

    La question se pose de l’impartialité et du crédit qu’il convient d’accorder aux conclusions de cette enquête interne dès lors que l’employeur, en tant que personne morale, reste responsable in fine des agissements de harcèlement moral commis dans l’entreprise, indépendamment de la responsabilité du ou des auteurs personnes physiques.  

    En effet, l’employeur doit prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir ou de faire cesser les agissements de harcèlement moral (c. trav. art. L. 1152-4). Il a, en la matière, une obligation de sécurité (c. trav. art. L. 4121-1 et L. 4121-2).

    Lorsque le salarié dénonce des agissements de harcèlement moral, s’il dit vrai, le mal est fait : l’employeur n’a pas su prévenir lesdits agissements et sa responsabilité est engagée. Rares, par conséquent, seront les hypothèses où l’enquête interne conclura à l’existence d’un harcèlement moral.

    Le caractère partial de l’enquête interne est encouragé par le fait que la loi ne fixe aucun cadre ni ne pose aucune règle quant aux conditions dans lesquelles doit être diligentée cette enquête.

    La jurisprudence est donc venue préciser, au cas par cas, certaines règles, qui ne font pas honneur aux droits de la défense.

    Ainsi, la Cour de cassation a précisé qu’une telle enquête n’était pas soumise au principe du contradictoire, de sorte qu’elle peut être réalisée à l’insu du salarié et sans entendre ses explications (cass. soc. 17 mars 2021, n° 18-25597), et qu’il n’est pas nécessaire d’auditionner tous les collaborateurs du salarié auquel des agissements de harcèlement moral sont reprochés (cass. soc. 8 janvier 2020, n° 18-20151).

    Plus récemment, la Cour de cassation a posé que cette enquête peut être menée par la direction des ressources humaines sans que les représentants du personnel soient associés (Cass. soc. 1er juin 2022, n°20-22058).

    Me Manuel Dambrin

     

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  • Pendant onze années, Thierry Vallat a partagé les locaux du Cabinet Cardinal, 50 avenue de la Grande Armée, soit dès la création de la structure.

    Sans appartenir strictement au Cabinet, il était notre Confrère, notre compagnon des bons et des mauvais jours, notre ami.

    Nous savions bien que depuis plusieurs années, Thierry luttait avec détermination contre le mal qui l’a emporté, mais la nouvelle de son décès, le 11 août dernier, nous a pris par surprise.

    Il faut dire que sa discrétion quant à sa maladie et la ténacité dont il faisait preuve étaient tels que l’on pouvait croire qu’il parviendrait à surmonter l’obstacle.

    Il demeurait pleinement investi dans la défense de ses clients, toujours passionné, combatif.

    Après une première carrière en tant que directeur juridique dans le secteur bancaire et immobilier, Thierry a collaboré pendant plus de dix ans avec le Cabinet Yves Levy, puis a rejoint en 2006 le Cabinet Pascal Durand & Associés, pour en devenir l’un des trois associés.

    Il a alors créé sa structure individuelle, 50 avenue de la Grande Armée, et s’est plus particulièrement consacré au droit des médias, au droit de l'immobilier et au droit pénal des affaires.

    Toujours à l’affût des changements de la société et de leur traduction juridique, Thierry a développé une importante activité de réflexion et d’information juridique par l’intermédiaire de son blog, parmi les plus lus dans le secteur, de son compte Twitter, de ses articles et entretiens accordés très régulièrement aux médias français et étrangers.

    Actif en droit des nouvelles technologies et notamment en droit des drones et droit de l'Internet, Thierry Vallat était également membre de l'Association du droit des robots.

    Son amour pour sa compagne, Ené, illustratrice et dessinatrice, l’avait poussé à apprendre la langue estonienne, poursuivant son étude à l’Institut national des langues et civilisations et orientales (« Langues O ») aussi loin que le cursus le permettait. Il devint ensuite avocat au bureau de Tallin, où il a même ouvert un bureau secondaire. Il ne faisait pas les choses à moitié.

    Thierry était un passionné de football et un supporter indéfectible du PSG, abonné au Parc des Princes depuis plusieurs décennies.

    Il aimait le lièvre à la royale.

    Nous le regrettons déjà.

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  • Débranche !La loi Travail, également appelée loi El Khomri du 21 juillet 2016 a introduit le « droit à la déconnexion » dans son chapitre II intitulé "Adaptation du droit du travail à l'ère du numérique".

    Pour autant la loi n’a pas prévu de définition claire et précise du droit à la déconnexion, se bornant à renvoyer aux partenaires sociaux le soin de fixer « les modalités du plein exercice par le salarié de son droit à la déconnexion et la mise en place par l'entreprise de dispositifs de régulation de l'utilisation des outils numériques, en vue d'assurer le respect des temps de repos et de congé ainsi que de la vie personnelle et familiale » (article L2242-17-7° du code du travail).

    A défaut d'accord en ce sens, le texte prévoit que « l'employeur élabore une charte, après avis du comité social et économique. Cette charte définit ces modalités de l'exercice du droit à la déconnexion et prévoit en outre la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d'encadrement et de direction, d'actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques ».

    Cette imprécision sur les mesures que l’employeur est censé prendre pour respecter le droit à la déconnexion est une source d’insécurité juridique dans la mesure où la jurisprudence sanctionne la violation du droit à la déconnexion.

    Ainsi dans une décision du 6 avril 2022 (n° 19/12178), la Cour d'appel de Paris a relevé que le salarié établissait « avoir travaillé les dimanches 26 avril 2015, 4 décembre 2016, 5 mars 2017, 12 et 19 mars 2017, 14 mai, 4 et 11 juin 2017, notamment sur sollicitation de son supérieur hiérarchique ».

    Elle en a déduit que cela caractérisait le non-respect du droit à la déconnexion et du droit au repos pendant 35 heures consécutives chaque semaine et a alloué au salarié une somme de 15.000 € en réparation du préjudice subi.

    Bonnes vacances !

    Me Manuel Dambrin

     

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  • Sacro-saint formalismeEn droit du travail, le formalisme est omniprésent et s’en affranchir peut coûter cher.

    C’est l’histoire d’un employeur qui ferme sa boutique en raison de difficultés économiques et qui notifie son licenciement économique à la responsable du magasin. Ni les difficultés économiques, ni la suppression de poste ne sont contestables ; elles ne sont d’ailleurs pas contestées.

    Seulement voilà : la lettre de licenciement informe seulement la salariée de la fermeture de l’établissement au sein duquel elle occupait son emploi et de la suppression corrélative de ce dernier, sans préciser la raison ayant présidé à la fermeture de l’établissement, à savoir les difficultés économiques, pourtant avérées.

    C’est cette carence rédactionnelle qui est sanctionnée par la Cour de cassation qui, dès lors, invalide le licenciement : « La seule fermeture d’un établissement ne peut constituer une cause économique de licenciement que si elle est justifiée par des difficultés économiques ou par la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise. Le défaut de motivation de la lettre prive le licenciement de cause réelle et sérieuse » (Cour de cassation, Chambre sociale, 15 juin 2022, 20-20.244).

    Me Manuel Dambrin

     

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  • Les collègues ont des oreillesUn motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire.

    Oui, mais il y a des limites.

    L’une d’entres elles est l’obligation de loyauté, qui est inhérente au contrat de travail, à telle enseigne qu’elle n’a pas à y être inscrite expressément pour pouvoir être invoquée par l’employeur (comme d’ailleurs par le salarié puisqu’il s’agit, on l’oublie parfois, d’une obligation réciproque).

    Cette obligation résulte de l’article L1222-1 du code du travail, selon lequel « Le contrat de travail est exécuté de bonne foi ».

    Dans cette affaire (Cour de cassation, Chambre sociale, 15 juin 2022, 21-10.572), l’employée d’une entreprise de carrosserie avait déclaré un soir après le travail, à l’un de ses collègues, devant deux autres membres de l’entreprise, qu’il était, selon son patron, « le pire peintre de l’entreprise ».

    Licenciée pour avoir tenue des propos dénigrants à l’égard des dirigeants de la société, de nature à diffuser une mauvaise image de l’entreprise, l’intéressée contestait son licenciement en soutenant que ses propos, tenus en dehors du temps et du lieu de travail, ne constituait pas un manquement à son obligation de loyauté et relevait de sa liberté d’expression.

    A tort, selon la Cour de Cassation : « même si ces propos avaient été tenus en dehors du temps et du lieu du travail, ils avaient été adressés à un autre salarié de l’entreprise afin de donner une mauvaise image de ses dirigeants et créer un malaise entre ces derniers et les membres du personnel », ce dont la Cour d’appel a pu déduire qu’ils caractérisaient un manquement de la salariée à son obligation de loyauté découlant de son contrat de travail.

    Me Manuel Dambrin

     

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  • Quand le temps partiel se transforme en temps complet, l’air de rien…Cet employeur (une société de sécurité privée) pensait employer son salarié (un agent de sécurité) à temps partiel, puisqu’en effet le contrat de travail prévoyait un horaire de 50 heures de travail par mois.

    Mais c’était sans compter avec l’article L. 3123-17 du code du travail, qui prévoit que « les heures complémentaires ne peuvent avoir pour effet de porter la durée hebdomadaire du travail accomplie par un salarié au niveau de la durée légale du travail ».

    En l’occurrence, les heures effectuées par le salarié avaient eu pour effet de porter sa durée hebdomadaire de travail légèrement au-dessus du niveau de la durée légale puisqu’il avait accompli, sur une semaine 36,75 heures, soit 1h75 de plus que la durée légale.

    Le salarié intentait alors une procédure afin de voir requalifier son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet.

    Il était d’abord débouté par la Cour d’appel au motif que la durée du travail était fixée mensuellement, de sorte que la réalisation, durant une semaine, d’un horaire légèrement supérieur à la durée légale hebdomadaire, alors que l’horaire mensuel demeurait inchangé, ne saurait entraîner la requalification de ce contrat à temps partiel en contrat de travail à temps plein.

    A tort, selon la cour de Cassation qui, appliquant rigoureusement le texte, juge qu’en statuant ainsi, alors que l’accomplissement d’heures complémentaires avait eu pour effet de porter la durée du travail accomplie par le salarié à un niveau supérieur à la durée légale du travail, la Cour d’appel aurait dû en déduire que le contrat de travail à temps partiel devait, à compter de ce dépassement, être requalifié en contrat de travail à temps complet (Cour de cassation, Chambre sociale, 15 septembre 2021, 19-19.563).

    Me Manuel Dambrin

     

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  • Congés payés : qui ne dit mot consentLa période au cours de laquelle les congés payés peuvent être pris est fixée par la convention collective applicable dans l’entreprise, un accord collectif ou à défaut, par l’employeur. C’est l’employeur qui détermine les dates et l'ordre des départs en congés après avoir éventuellement demandé aux salariés leurs choix. L'employeur peut alors accepter ou refuser leurs souhaits selon les demandes des autres salariés de l’entreprise.

    Pour fixer l'ordre des départs en congés, l'employeur doit prendre en compte différents critères fixés par l’article L.3141-16 du Code du travail (situation de famille, ancienneté, activité éventuelle chez un ou plusieurs autres employeurs).

    Dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation, Chambre sociale, du 6 avril 2022 (n°20-22.055), le salarié avait formé une demande de congés puis, sans réponse formelle de son employeur, il s’était absenté selon son souhait, ce qui lui avait valu un avertissement.

    Avertissement annulé puisqu’en effet, selon les juges, « il n’était pas établi que l’employeur avait expressément formulé un refus, en sorte que le salarié avait pu considérer que sa demande était acceptée ».

    Me Manuel Dambrin

     

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  • Rupture conventionnelle : jusqu'où peut-on mentir ?C’est un salarié qui invoque un supposé projet de reconversion professionnelle pour obtenir la rupture conventionnelle de son contrat de travail ; mais son employeur découvre qu’il n’en était rien puisque, aussitôt le contrat rompu, il voit son ancien collaborateur embauché par une société concurrente, comme directeur commercial…

    Estimant avoir été trompé, l’employeur saisi la juridiction prud’homale d’une demande de nullité de la rupture conventionnelle. En effet, la rupture conventionnelle peut être annulée si le consentement d’une des parties a été vicié, par exemple si l’une des parties a trompé l’autre par des manœuvres (stratagème, mensonge, silence sur un élément important, etc.).

    La Cour d’appel lui donne raison et requalifie la rupture conventionnelle en démission (le salarié doit alors rendre l’indemnité de rupture perçue).

    Mais la Cour de cassation ne valide pas cette solution (Chambre sociale, 11 mai 2022, n° 20-15.909).

    Elle rappelle que, pour que la nullité soit encourue, il est nécessaire que les manœuvres pratiquées soient telles qu'il soit évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté, ce que n’avait pas suffisamment vérifié la Cour d’appel en l’occurrence.

    L’affaire sera donc rejugée et l’employeur devra prouver que le mensonge du salarié a été déterminant et qu’il n’aurait pas consenti à la rupture conventionnelle s’il en avait connu l’existence.

    Me Manuel Dambrin

     

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  • Cogner son collègue : c'est possible !Nul ne disconviendra que se livrer à des violences physiques contre ses collègues de travail est assurément constitutif d’une faute grave justifiant un licenciement.

    C’est ce que pensait cette association caritative qui avait licencié, sur ce fondement, l’une de ses salariées, affectée à un poste d’« animatrice écoutante » au pôle de réception des appels au « 115 ».

    En effet, l’intéressée avait porté un coup à la tête de sa collègue en la menaçant de mort, ce qui avait provoqué l’interruption du service et profondément choqué la dizaine de salariés présents.

    A tort, selon le Cour de Cassation, qui a estimé que les faits reprochés à la salariée s’étaient produits en réaction à l’agression subite et violente dont elle avait été victime de la part de son collègue, dans un contexte professionnel de tension psychologique et de fréquentes altercations, de sorte que la cour d’appel avait pu retenir que ces faits ne caractérisaient pas une faute grave, ni même une cause réelle et sérieuse de licenciement (Cour de cassation, Chambre sociale, 20 octobre 2021, 20-10.613).

    Me Manuel Dambrin

     

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  • Dura lex sed lex (la loi est dure mais c'est la loi)Selon l’article L1233-3 du code du travail, un licenciement pour motif économique peut être prononcé lorsque l’entreprise connait des « difficultés économiques ».

    Le même texte prévoit que l’entreprise est réputée justifier de « difficultés économiques » lorsqu’elle accuse « une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires (…) dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :

    a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;

    b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;

    c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;

    d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ».

     

    Dans son arrêt rendu le 1er juin 2022 (n°20-19.957), la Cour de cassation applique strictement ces dispositions.

    Dans cette affaire, la salariée avait été licenciée le 2 juillet 2017 pour motif économique en raison des difficultés économiques rencontrées par son employeur ; elle contestait son licenciement, au motif notamment que son employeur avait connu une augmentation de chiffre d’affaires sur le premier trimestre de l’année 2017.

    La Cour d’appel de Poitiers ne l’avait pas suivie et avait considéré que le licenciement était fondé après avoir relevé qu’une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires était constituée dès lors qu’il était justifié du recul de quatre trimestres consécutifs de chiffre d’affaires sur l’année 2016 par rapport à l’année 2015 (en recul de 22.835 millions), la modeste augmentation de 0,50 % du chiffre d’affaires du premier trimestre 2017 par rapport à celui de 2016 n’étant pas suffisant pour signifier une amélioration tangible des indicateurs.

    La Cour de cassation n’a toutefois pas suivi cette analyse et a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Poitiers après avoir rappelé que : « selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le juge doit se placer à la date du licenciement pour apprécier le motif de celui-ci » ; qu’ « il en résulte que la durée d’une baisse significative des commandes ou du chiffre d’affaires, telle que définie par l’article L. 1233-3, 1°, a) à d), du code du travail, s’apprécie en comparant le niveau des commandes ou du chiffre d’affaires au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l’année précédente à la même période ».

    Qu’ainsi, « dès lors que la Cour d’appel avait constaté que la durée de la baisse du chiffre d’affaires, en comparaison avec la même période de l’année précédente, n’égalait pas quatre trimestres consécutifs précédant la rupture du contrat de travail pour cette entreprise de plus de trois cents salariés, elle ne pouvait en conséquence considérer que le motif économique était caractérisé ».

    Me Manuel Dambrin

     

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