• Ne pas confondre concurrence et concurrence... déloyaleEn l’absence de clause de non-concurrence, un salarié qui a quitté son emploi peut exercer une activité concurrente de celle de son ancien employeur. II doit seulement s’abstenir d’accomplir tout acte de concurrence déloyale, ce qui constitue une obligation s’imposant à tous les opérateurs sur le marché considéré.

    Cette distinction a été rappelée par la Cour de cassation dans un arrêt du 27 janvier 2021 (18-18.528) qui mettait en scène une salariée « agent d’entretien » qui, préalablement à sa démission, s’était immatriculée en qualité d’auto-entrepreneuse puis, après son départ, avait travaillé pour les clients de son ancien employeur.

    Considérant être en présence d’agissements déloyaux, l’employeur l’avait assignée en paiement de dommages-intérêts et aux fins de lui faire cesser toute activité de nettoyage dans un rayon de vingt kilomètres autour de son siège social.

    Au soutien de son action, l’employeur soulignait que son ex-salariée avait déclaré son activité durant l’exécution de son contrat de travail ; qu’elle avait annoncé son installation aux clients avant d’avoir quitté l’entreprise et qu’elle pratiquait des prix inférieurs, si bien qu’au moins deux clients sur les cinq pour lesquels elle avait travaillé comme salariée avaient résilié leur contrat et retenu les services de son auto-entreprise.

    Mais ces éléments ne caractérisent pas une concurrence déloyale.

    La Cour Suprême approuve les juges d’appel d’avoir jugé que « le détournement de clientèle ne peut résulter du seul fait que des clients se sont reportés sur l’auto-entreprise de Mme O… en raison de sa compétence » dès lors « qu’aucune manœuvre déloyale imputable à la salariée tendant à détourner les clients de son ancien employeur n’est établie ».

    En outre, ajoute-t-elle, « la seule création d’une entreprise concurrente durant le contrat de travail, sans que soit démontré l’exercice effectif d’une activité concurrente au cours de celui-ci, n’est pas déloyale ».

    Me Manuel Dambrin

     

    Pin It

  • Période d'essai : un écrit signé, ou rien !La période d’essai, tout comme son renouvellement, ne se présument pas.

    Cela signifie que si l’existence d’une période d’essai n’est pas prévue dans le contrat de travail, ou que ce contrat n’a pas été signé (ce qui revient au même) il n’y a pas de période d’essai ; l’embauche est définitive dès le premier jour de travail, peu important que la possibilité d’un essai soit prévue dans la convention collective.

    L’enjeu n’est pas neutre, particulièrement pour les cadres puisqu’en l’absence de période d’essai, si l’employeur rompt le contrat sans forme particulière, même quelques jours après le début de la collaboration, cette rupture s’analysera en un licenciement qui sera nécessairement abusif faute d’avoir été motivé et précédé de la procédure idoine. Le préavis devra être payé, de même que des dommages et intérêts pour licenciement abusif. 

    C’est cette dure réalité que rappelle la Cour de cassation dans son arrêt du 21 octobre 2020 (19-17.219).

    Dans cette affaire, l’employeur avait notifié à sa salariée la rupture de sa période d’essai, ce que celle-ci contestait en soutenant qu’elle n’avait signé aucun contrat de travail. Elle demandait donc que cette rupture s’analyse et produise les effets d’un licenciement abusif.

    Les juges d’appel la déboutaient cependant de ses demandes au motif que si elle n’avait pas signé son contrat, celui-ci lui avait été transmis de sorte qu’elle avait eu connaissance de son contrat de travail où figurait bien une période d’essai.

    Insuffisant, répond la Cour de cassation.

    Rappelant que selon l’article L. 1221-23 du code du travail, la période d’essai et la possibilité de la renouveler ne se présument pas et doivent être expressément stipulées dans la lettre d’engagement ou le contrat de travail, la cour Suprême énonce qu’« en statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que la salariée n’avait pas signé de contrat de travail stipulant une période d’essai, la cour d’appel a violé le texte susvisé ».

    Me Manuel Dambrin

     

    Pin It

  • La date de la transactionLa Cour de cassation juge de longue date qu’une transaction portant sur la rupture du contrat de travail ou sur ses effets n’est valable que si elle est conclue postérieurement à la notification du licenciement par lettre recommandée avec accusé de réception. Autrement dit, toute transaction signée avant la notification du licenciement est nulle et privée d’effet.

    Cette exigence chronologique est destinée à s’assurer que le consentement du salarié a bien été libre et éclairé, c’est-à-dire qu’il n’a pas signé une transaction sous la pression ou la menace de son employeur.

    Ainsi la transaction n’est-elle pas un mode de rupture du contrat de travail (à la différence de la rupture conventionnelle) mais un mode de règlement d’un litige qui survient après la rupture, pour en régler les conséquences par des concessions réciproques et éviter un contentieux.

    C’est donc un rappel auquel procède la Cour de cassation dans son arrêt du 30 septembre 2020 (n°19-12.635).

    L’affaire qui a donné lieu à cette décision est intéressante en ce que la transaction litigieuse indiquait la date d’envoi et de réception d’une lettre de licenciement, ce dont la Cour d’appel avait cru pouvoir déduire que le salarié avait nécessairement eu connaissance de la lettre de licenciement et de son motif antérieurement à la régularisation du protocole transactionnel.

    Toutefois l’employeur reconnaissait que la lettre de licenciement n’avait pas été adressée en recommandé, ce qui ne permettait pas de lui conférer date certaine.

    Cette circonstance est rédhibitoire pour la Cour de Cassation qui estime qu’« en l’absence de notification préalable du licenciement par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, il [en] résultait qu’elle [la transaction] était nulle ».

    Me Manuel Dambrin

     

    Pin It

  • Si, en matière pénale, la preuve est libre, il est utile de rappeler qu’en droit commercial et en droit civil, un enregistrement clandestin est irrecevable.

    Cette règle semble assez méconnue si l’on en croit les nombreux clients qui nous apportent des « preuves » que nous, avocats, ne pouvons pas exploiter.

    Enregistrement clandestin : attention !Il s’agit souvent d’enregistrements de conversations effectués à l’insu de l’interlocuteur, procédé rendu aisé par les capacités offertes par les actuels téléphones portables.

    Le sort d’un tel enregistrement est très clair : c’est la nullité, ainsi que l'a rappelé la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 8 avril 2020 (n° 19/14956).

    Dans cette affaire, l’une des parties avait demandé à un huissier de justice de transcrire l’enregistrement d’un fichier audio se trouvant sur une clé USB, en indiquant qu’il s’agissait d’échanges intervenus au cours d’une assemblée générale de société.

    Cette partie produisait également l’attestation d’une personne ayant participé à ladite assemblée générale et indiquant que les personnes présentes étaient d’accord pour que les échanges soient enregistrés.

    Malgré ces garanties apparentes, la Cour a refusé de prendre en considération l’enregistrement, notamment en raison de la transcription partielle de la réunion et de l’impossibilité de s’assurer du lieu et de la date de l’enregistrement.

    Qui plus est, rien ne permettait de s’assurer du caractère complet de la transcription ni de l’identité des intervenants, dont l’identité avait été indiquée à l’huissier de justice par la personne à l’origine de l’enregistrement.

    Cette affaire est intéressante car même en présence d’éléments donnant une certaine crédibilité à l’enregistrement (procès-verbal d’huissier de justice et attestation), la Cour a considéré qu’en l’absence de consentement exprès résultant de la retranscription, le procès-verbal de constat du fichier audio était irrecevable.

    On ne saurait trop conseiller, en pareil cas, de solliciter l’intervention d’un huissier de justice en amont de l’assemblée générale dont on souhaite s’assurer de la retranscription fidèle, afin de permettre audit huissier de justice d’y assister personnellement et physiquement.

    Ses constatations seront normalement à l’abri de la contestation.

    Me Xavier Chabeuf

    Pin It

  • Inciter au dénigrement 'est pas dénigrerSi le salarié jouit dans l’entreprise de sa liberté d’expression, il peut être sanctionné lorsqu’il commet un abus dans l’exercice de cette liberté, c’est-à-dire lorsque, selon le triptyque habituel, il s’abandonne à tenir des propos « injurieux, diffamatoires ou excessifs » (voir précédemment sur ce blog : http://cardinal-avocats.eklablog.com/liberte-d-expression-au-sein-de-l-entreprise-jusqu-ou-peut-on-aller-a182514608).

    Encore faut-il, aussi odieux soient les propos litigieux, que ces derniers aient été tenus par le salarié lui-même et non par ses « amis » Facebook …

    C’est la leçon qu’il faut tirer de l’arrêt rendu par la Cour de cassation, Chambre sociale, le 30 septembre 2020 (n°19-10.123).

    Dans cette affaire, la secrétaire administrative d’une résidence privée pour personnes âgées avait publié, sur son compte Facebook accessible au public, des messages concernant son employeur qui, en eux-mêmes ne recelaient pas de propos outranciers ou dénigrants. La salariée indiquait qu’elle passait des « journées de merde » à La Rose des Vents. Elle qualifiait tout de même ses collègues d’« indics » et de « taupes »…

    Mais ce sont surtout les commentaires des « amis » qui pouvaient être regardé comme injurieux, diffamatoires ou excessif. On pouvait y lire que l’entreprise n’était composée que d’une bande de « ptis cons », de « traitres », au comportement « très bas » « mais en même temps pas surprenant », indiquant qu’« il est grand temps de partir de là-bas » et affirmant, toujours à propos de l’entreprise, que « débusquer le faux ami, le traitre avant qu’il n’inocule son venin est une opération aussi complexe que de nettoyer l’anus d’une hyène ».

    La salariée était licenciée pour faute grave au motif qu’elle avait, sur sa page Facebook, en libre accès, tenus des propos inadmissibles et laissé ses « amis » publier des commentaires outranciers.

    Mais ce motif ne convainquit pas les juges. Pour dire le licenciement sans cause réelle ni sérieuse, la Cour d’appel, approuvée ensuite par la Cour de Cassation, a retenu que les seuls messages dont la salariée était la rédactrice ne s’analysaient pas en un dénigrement de l’employeur et que les autres avaient été rédigés par des tiers.

    Me Manuel Dambrin

     

    Pin It

  • Accepter des cadeaux d'affaires peut constituer une faute graveLa pratique des « cadeaux d’affaires », qui consiste pour un fournisseur à consentir des cadeaux à partir d’un certain volume de commande afin de fidéliser ou de renforcer une relation commerciale, est bien connue des entreprises.

    Qui n’a jamais été tenté d’allonger un peu la commande de fournitures pour avoir son gaufrier ?

    Cette pratique peut toutefois s’avérer lourde de conséquence pour les salariés qui les reçoivent lorsque ces cadeaux sont perçus à l’insu de l’employeur et représentent un montant important, de telle sorte que leur octroi est de nature à influencer le choix des fournisseurs, au détriment de l’entreprise.

    C’est ce qu’illustre la décision rendue par la Cour d'appel d'Angers le 29 mai 2020 (n° 18/00395).

    Dans cette affaire, le salarié, assistant aux achats d’une fonderie, s’était vu proposer de la part d’un fournisseur, deux tablettes numériques d’une valeur de 798 €.

    Pressentant que la valeur de ces objets excédait celle des cadeaux d’affaires « de valeur raisonnable » que le code de conduite professionnelle en vigueur dans l’entreprise lui permettait d’accepter, le salarié avait demandé au fournisseur que ces cadeaux lui soient livrés à son domicile.

    Ces faits ont alors été découverts de manière fortuite par le contrôleur financier à l’occasion d’une commande auprès dudit fournisseur.

    Licencié pour faute grave, l’assistant aux achats contestait son licenciement, mais en vain.

    Le Conseil de prud'hommes, puis la Cour d’appel, estimaient en effet que le licenciement était justifié car les faits reprochés constituaient un manquement du salarié à son obligation de loyauté, obligation inhérente au contrat de travail.

    Au soutien de leur décision, les juges d’appel ont relevé que le salarié avait accepté personnellement des cadeaux d’un montant important d’un fournisseur à deux reprises, et en toute discrétion, en dépit des exigences d’intégrité en vigueur au sein de la société dont il avait parfaitement connaissance.

    Ils soulignent également que ce faisant, le salarié avait potentiellement perturbé les règles encadrant le choix du fournisseur au préjudice de son employeur dont l’image s’en trouvait ternie et fait peser sur elle un risque de redressement eu égard à l’avantage en nature indûment octroyé, qui demeure soumis à cotisations sociales suivant l’article L 242-1-4 du CSS. 

    Me Manuel Dambrin

     

    Pin It

  • Libre à chacun de le vérifier : les informations relatives à 8 millions d’entreprises françaises sont librement et gratuitement accessibles sur Internet.

    Peuvent être consultés en quelques secondes : tous les documents légaux déposés par les entreprises des greffes de tribunaux de commerce, leurs comptes sociaux, toutes les annonces légales relatives à ces entreprises.

    Cette situation n’est pas véritablement récente mais reste encore largement méconnue, à telle enseigne que l’immense majorité des personnes intéressées continue de consulter le site Infogreffe, mis en place par les greffiers de tribunaux de commerce, pour télécharger, moyennant paiement, statuts, actes sociaux, comptes des entreprises.

    En effet, depuis la Loi Macron du 7 août 2015, l’Open Data (données ouvertes qui ont vocations à être librement accessibles et réutilisables) permet un libre accès à l’ensemble des documents constituant le registre national du commerce et des sociétés.

    Le décret n°2015-1905 du 30 décembre 2015 fixe les modalités de transmission de l’intégralité des documents enregistrés par les greffes auprès de l’Institut National de la Propriété Intellectuelle (INPI), chargé de centraliser l’information.  

    L’INPI met ces documents à disposition sur sa nouvelle plateforme data.inpi (https://data.inpi.fr). Afin de bénéficier des avantages de l’Open Data, il suffit de créer un compte et d’accepter la licence de réutilisation de l’INPI. 

    Par la signature de cette dernière l’INPI, consent un droit de réutilisation gratuit, illimité, à des fins commerciales ou non, à leurs utilisateurs. 

    A partir de cette licence de réutilisation, toute personne physique ou morale dispose d’un accès libre et gratuit aux actes transmis par les greffiers des tribunaux de commerce, ce qui explique que des sites commerciaux mais gratuits rendent disponibles les informations relatives aux entreprises.  

    Leur intérêt ? Générer du flux sur leur site et vendre de la publicité en ligne. 

    Du côté du consommateur, la possibilité d’avoir accès gratuitement à des informations auparavant payantes est naturellement bienvenue. Dans le cadre de contentieux, par exemple, il est plus aisé de vérifier certaines informations relatives aux parties, tant il est vrai que la petite barrière à l’entrée du paiement d’une dizaine d’euros pour prendre connaissance des statuts d’une société limite des accès potentiellement répétés au cours d’une même journée.  

    La disponibilité de ces informations constitue également une avancée vers davantage de loyauté et de sécurité dans les relations commerciales. 

    L’on peut toutefois s’interroger sur le mauvais coup fait aux greffiers de tribunaux de commerce qui ont mis sur pied la plate-forme Infogreffe, fort pratique et efficace, et qui se voient ainsi privés d’une source de revenus légitimes. 

    La gratuité, on le sait maintenant, est le gage d’un service dégradé ou d’un paiement détourné.

    Données relatives aux entreprises gratuitement accessibles : les limites d’une bonne intention

     

    Mais le plus grave est ailleurs, car nombre de ces documents contiennent les données personnelles de personnes physiques (associés et dirigeants) au mépris des règles posées par le Règlement général de protections des données (règlement communautaire n° 2016/679 dit « RGPD »).

    Ainsi, les statuts contiennent les noms et prénoms, date et lieu de naissance, situation matrimoniale, adresse personnelle de leur(s) dépositaire(s). 

    Si la base légale de traitement de ces données personnelles ne pose pas difficulté pour les greffes et l’Inpi (Conformément à l’article D.312-1-3 al. 2 du CRPA), la solution diffère pour les entreprises qui réutilisent ces documents. 

    En effet, l’entreprise réutilisatrice devient à son tour responsable de traitement. En ce sens, elle doit opérer un traitement conforme aux articles 5,12, 14 et 21 du RGPD et : 

    -        Opérer un traitement licite (la réutilisation doit se faire selon l’une des bases légales prévus à l’article 6 du RGPD) ; 

    -        Poursuivre une finalité qui doit être déterminé, explicite et légitime ; 

    -        Porter sur des données adéquates, pertinentes, proportionnés et mise à jour ; 

    -        Être effectué en toute transparence ; 

    -        Garantir le respect des droits de la personne (notamment droit d’opposition, d’accès, de rectification ; 

    -        Garantir la sécurisation et le respect de la limitation de conservation des données (https://www.cnil.fr/sites/default/files/atoms/files/guide-open-data.pdf). 

    L’article 2 de la licence de réutilisation de l’Inpi opère un sobre rappel de ces obligations en indiquant que « l’information peut être librement réutilisé (…) à condition de respecter le cadre légal relatif à la protection des données à caractère personnel ». 

    Or, la seule question de la base légale du traitement se heurte à une difficulté. En dehors de tout consentement ou contrat (les autres conditions étant écartées car manifestement inapplicables), seul demeure l’intérêt légitime. Si l’on comprend aisément qu’il existe un intérêt légitime au traitement de ces données dans le cadre d’une démarche administrative, force est de constater que seul le greffe (ou l’Inpi dans un second temps) peut s’en prévaloir. 

    En dépit de ce que l’on constate sur Internet, l’anonymisation de ces données est une obligation imposée par le RGPD (L’anonymisation des données, un traitement clé pour l’open data | CNIL).

    L’argument tiré de la quantité de données extraite ne saurait faire obstacle à une telle anonymisation puisque certaines sociétés sont d’ores et déjà dotés d’algorithmes visant à prévenir toute atteinte aux données personnelles (https://blog.doctrine.fr/lanonymisation-des-decisions-de-justice/). 

    Une conciliation entre l’open data et la protection des données personnelle est donc possible, à condition que les entreprises prennent les mesures nécessaires à une réutilisation conforme au RGPD.

    Si vous êtes concernée par une telle publication de vos données personnelles, il conviendra dans un premier temps, de remplir le formulaire d’opposition accessible sur le site à l’origine de la publication. Dans un second temps, il sera pertinent de contacter un avocat afin d’adresser une mise en demeure à l’entreprise diffusant vos données personnelles

    Xavier Chabeuf, avocat associé, et Inès Zaoui, juriste

    Pin It

  • L'entretien préalable à distance, c'est possibleEtant donné la situation sanitaire actuelle, la tenue d’un entretien préalable au licenciement peut ne pas être aisé à organiser (confinement, fermeture de l’entreprise, télétravail, isolement du salarié affecté par le virus, …)

    La loi n’a pas prévu que l’entretien préalable puisse se tenir autrement que lors d’un rendez-vous physique. Les articles L.1232-2 à L.1232-5 et R.1232-1 à R.1232-3 du Code du travail, qui définissent les modalités de l’entretien préalable indiquent en effet que la convocation à l’entretien préalable doit viser le « lieu » de l’entretien et prévoir la « venue » du conseiller du salarié.

    La jurisprudence a donc été amenée à se prononcer et elle l’a fait, comme toujours, en ordre dispersé, aucune décision de la Cour de Cassation n’étant encore venu trancher cette question (en attendant une éventuelle modification de la loi).

    Certaines Cours d’appel ont admis le recours à la visioconférence (par exemple : Cour d’appel de Versailles 4 juin 2020 n° 17/04940) tandis que d’autre y ont vu une irrégularité de procédure (par exemple : Cour d’appel de Grenoble, 7 janvier 2020, n° 17/02442).

    Pour tenter de guider l’employeur dans ce capharnaüm judiciaire, l’administration du travail, elle aussi après quelques hésitations, a fini par admettre l’entretien à distance à condition qu’il soit assorti des modalités suivantes :

     L’accord préalable des deux parties sur l’utilisation de cette modalité d’organisation.

     L’utilisation d’outils techniques permettant la tenue de la réunion dans des conditions correctes d’émission et de réception de l’image et du son, sans interruption pendant la durée de la réunion tant du côté de l’employeur que du côté du salarié et, le cas échéant, de la personne qui l’assiste.

     Le fait qu’en début d’entretien chaque participant décline distinctement son nom et sa qualité et que chacun s’engage, sur l’honneur, à ce qu’aucune autre personne ne soit présente dans la pièce dans laquelle il se trouve et à ce qu’aucun contact par téléphone ou messagerie ne soit établi avec un tiers, à aucun moment au cours de l’entretien.

     L’établissement d’un compte-rendu fidèle et précis à l’issue de l’entretien préalable, retraçant les modalités de l’entretien, rappelant les garanties apportées par ces modalités et le contenu des échanges.

     Me Manuel Dambrin

     

    Pin It

  • La prescription des faits fautifs : le piège de la chaine hiérarchiqueLe principe est posé par l’article L. 1332-4 du code du travail. Selon ce texte : « aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ».

    C’est ce que l’on appelle la prescription disciplinaire de deux mois, avec cette précision importante et souvent oubliée que ce n’est pas la date des faits qui compte et qui fait courir le délai de deux mois, c’est la date à laquelle l’employeur en a eu connaissance. Ainsi des faits fautifs commis un an avant leur découverte peuvent être sanctionnés si la date de cette découverte, elle, n’est pas antérieure de plus de deux mois.

    Cela étant dit, l’application de cette règle pose le problème de la détermination de « l’employeur » : Qui est la personne, au sein de l’entreprise « habilité » à recevoir la connaissance des faits fautifs et dont cette connaissance fait courir le délai de deux mois ?

    L’arrêt rendu par la Cour de Cassation, chambre sociale, le 18 novembre 2020 (n° 19-14511) répond à cette question.

    Dans cette affaire, l’employeur avait été informé le 23 octobre qu’un salarié avait commis une faute et il avait convoqué ce dernier à un entretien préalable le 18 novembre donc, a priori, dans le délai de deux mois.

    Mais le salarié invoquait la prescription disciplinaire de deux mois en faisant valoir que son supérieur hiérarchique direct, le responsable d’atelier, avait eu connaissance des faits litigieux dès le mois d’août de sorte que, le 18 novembre, il était trop tard pour les sanctionner.

    Pour tenter d’écarter cette prescription, l’employeur soutenait que le supérieur hiérarchique du salarié avait omis de lui rendre compte du comportement fautif de son subordonné (et avait d’ailleurs lui-même été licencié pour ce motif).

    Mais cette « excuse » ne convainc pas la Cour de Cassation, qui juge ainsi que le supérieur hiérarchique du salarié représentait l’employeur et que c’est à compter de la connaissance qu’avait eu ce dernier, des faits fautifs commis par son subordonné, que courait le délai de prescription de deux mois.

    Me Manuel Dambrin

     

    Pin It

  • « Vers 5h30, je me suis réveillé et j’ai vu un individu qui fouillait vers des livres en face du lit. J’ai hurlé et l’individu est parti en courant par la porte-fenêtre qui donne sur son balcon. La chambre est en rez-de-chaussée ». Tels sont les faits rapportés par un voyageur séjournant avec son épouse dans un hôtel de luxe de la Côte-d’Azur après que des bijoux leur ont été dérobés.

    L’hôtelier déclina sa responsabilité en indiquant qu’il n’avait commis aucune faute et qu’une notice à l’attention des clients indiquait bien qu’il convenait de fermer les volets la nuit (la chambre étant en rez-de-chaussée) et de placer les effets de valeur dans le coffre-fort de la chambre, ce que les voyageurs avaient fait s’agissant des espèces dont ils disposaient, mais pas pour ce qui concernait les bijoux, qui étaient restaient semble-t-il en évidence dans la chambre.

    Les voyageurs, de leur côté, avançaient que l’hôtelier avait commis plusieurs fautes qui avaient permis au voleur d’accomplir son forfait car la baie de la fenêtre ne disposait pas d’un système de verrouillage et que le veilleur de nuit n’était pas à son poste mais préparait les tables du restaurant pour le petit-déjeuner.

    Qui plus est, ils soulignaient à juste titre qu’ils pouvaient légitimement s’attendre, dans un hôtel de niveau 4 étoiles faisant payer 500 € la nuit, à un niveau de sécurité en adéquation avec le tarif pratiqué.

    Et la Cour d’appel d’Aix-en-Provence de débouter les pauvres voyageurs de leur demande indemnitaire au motif qu’ils ne rapportaient pas l’existence d’une faute caractérisée de l’hôtelier et que les voyageurs n’avaient pas pris les précautions adéquates pour éviter un cambriolage.

    Heureusement, un pourvoi en cassation fut formé par les voyageurs, qui a permis à la première chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 23 septembre 2020, de faire  un rappel bien venu des dispositions des articles 1952 et 1953 du code civil, lesquelles prévoient un régime de responsabilité spécifique concernant les vols commis dans les hôtels.

    Elémentaire mon Cher Watson !

    Ainsi, aux termes de l’article 1952 du code civil : « Les aubergistes ou hôteliers répondent comme dépositaires des vêtements, bagages et objets divers apportés dans leur établissement par le voyageur qui loge chez eux ; le dépôt de ces sortes d’effets doit être regardé comme un dépôt nécessaire ».

    Tandis que l’article 1953 du code civil est rédigé dans les termes suivants : «Ils sont responsable du vol ou du dommage de ces effets, soit que le vol ait été commis ou que le dommage ait été causé par leurs domestiques et préposés, ou par des étrangers allant et venant dans l'hôtel. 

    Cette responsabilité est illimitée, nonobstant toute clause contraire, au cas de vol ou de détérioration des objets de toute nature déposés entre leurs mains ou qu'ils ont refusé de recevoir sans motif légitime.

    Dans tous les autres cas, les dommages-intérêts dus au voyageur sont, à l'exclusion de toute limitation conventionnelle inférieure, limités à l'équivalent de cent fois le prix de location du logement par journée, sauf lorsque le voyageur démontre que le préjudice qu'il a subi résulte d'une faute de celui qui l'héberge ou des personnes dont ce dernier doit répondre".

    Ces dispositions sont intéressantes et tout à l’avantage des voyageurs puisque :

    1/ La faute de l’hôtelier n’est pas nécessaire pour engager sa responsabilité : il est supposé responsable par le seul fait qu’un vol est survenu. Ce principe figurait dès le code napoléon de 1804, et comme souvent n’était qu’une reprise du droit applicable sous l’Ancien régime, où de telles obligations reposant sur l’aubergiste apparaissait nécessaire tant il était fréquent que les clients soient proprement détroussés durant leur séjour. Ce n’est pas au voyageur de vérifier l’état des huisseries, la hauteur des balcons, les références du personnel, le fonctionnement des systèmes de vidéo-surveillance.

    2/ Les dommages-intérêts auxquels peut prétendre le voyageur sont plafonnés, ce qui semble être la contrepartie du régime de responsabilité sans faute applicable : le plafond est fixé à cent fois le prix de location du logement par journée (nuitée de 120 euros = indemnisation plafonnée à 12.000 euros). Il reste donc avisé que Madame dépose sa rivière de diamants au coffre-fort sitôt rentrée du bal ou du casino.

    3/ Il est possible de déroger à ce plafond à la hausse et à la baisse.

    A la hausse, le plafond de cent fois le prix de location du logement par journée peut être dépassé si des effets ont été confiés à l’hôtelier (cas du coffre-fort de l’hôtel, par exemple) ou si une faute spécifique de sa part (ou de son personnel) peut être prouvée.

    A la baisse, il faut noter que ces dispositions ne sont pas d’ordre public et qu’il est possible d’y déroger par contrat. Il faut donc prêter une particulière attention aux documents signés à l’arrivée dans un hôtel car ses exploitants peuvent évidemment avoir la tentation de prévoir une limitation de leur responsabilité.

    4/ Le voyageur bénéficie de facilités pour prouver son préjudice puisqu’il peut se fonder sur les dispositions de l’article L. 110-3 du code de commerce pour rapporter par tous moyens son existence et sa consistance. Il est donc parfaitement possible de produire de simples photocopies ou des estimations privées, dans avoir à fournir des exemplaires originaux des factures des objets dérobés.

    Me Xavier Chabeuf

    Pin It