• Les pouvoirs publics sont rarement à court d'imagination pour justifier de nouveaux prélèvements.

    Le concours Lépine de l'imagination fiscale a été remporté avec mention en 2011 par la contribution pour l'aide juridique (Article_1635_bis_Q du Code général des impôts), créée par la loi de finances rectificative du 29 juillet 2011.

    Il s'agit d'un droit de timbre fixé à 35 euros, dû par toutes les personnes qui introduisent une instance devant les juridictions judiciaires en matière civile, commerciale, prud'homale, sociale et devant les juridictions administratives, en première instance et en appel (avec moultes exceptions, naturellement)

    La motivation de cette atteinte portée au sacro-saint principe de gratuité de la justice ? Le financement de l'aide juridictionnelle, soit le règlement des honoraires forfaitaires versés aux avocats assistant les plus démunis.

    Noble cause s'il en est.

    Sauf que l'on distinguait également les biens prosaïques besoins de financement d'un Etat chroniquement impécunieux, qui trouvait là le moyen simple et efficace de faire rentrer de nouvelles ressources indolores pour le plus grand nombre.

    Sauf que l'on pouvait également se demander si le financement de l'aide juridictionnelle ne relevait pas du budget général de l'Etat, sans qu'il soit nécessaire de faire appel à ceux qui demandent à la justice de la République d'exercer cette fonction régalienne essentielle : trancher les différends, dire le droit.

    C'est d'ailleurs à ce mode de fonctionnement que le Gouvernement se propose de revenir, puisque le produit du droit de timbre (60 millions d'euros sur un budget de l'aide juridictionnelle de 379 millions d'euros) sera compensé par une dotation budgétaire.

    Dans un souci de Justice Sociale (et de cohérence), les bénéficiaires de l'aide juridictionnelle totale (revenus inférieurs à 929 euros mensuels) étaient exonérés du paiement du droit de timbre à 35 euros.

    C'est pourtant ce même souci de Justice Sociale, décidément concept fourre-tout justifiant tout et son contraire, qui a conduit l'actuelle majorité à défaire ce que la majorité précédente avait mis en place, puisque l'article 69 du projet de loi de finances pour 2014 prévoit de supprimer ce droit de timbre à compter du 1er janvier 2014.

    Selon le garde des Sceaux, forte de l'oeuvre civilisatrice du Gouvernement, dévoué au service du Bien : : "C'est un geste grandiose et juste " (Libération, 23 juillet 2013). "Ce timbre fonctionne comme une entrave à la justice".

    Comprenne qui pourra.

    contribution

    On peut quand même se demander si des justiciables qui ne sont pas disposés à investir 35 euros, soit un petit plein d'essence, pour avoir recours à la justice, sont bien motivés.

    Surtout que, dans le même temps, il n'est aucunement envisagé de supprimer le droit de timbre de 150 euros, à acquitter par toutes les parties à une procédure d'appel : l'accès à un deuxième degré de juridiction est-il secondaire au point qu'il soit juste de maintenir une contribution fiscale d'un montant non négligeable, qui doit être acquitté également par la partie intimée (en défense) ?

    Mais j'ai sans doute tort d'essayer de chercher de la cohérence là où il n'y a qu'une politique budgétaire à (courte) vue et de la grandiloquence d'estrade partisane. 

    Le plus désagréable dans cette affaire n'est pas tant la question de l'aide juridictionnelle ou celle de la justice sociale, qui peuvent être appréciées diversement avec plus ou moins de bonne foi part et d'autre, mais l'instabilité juridique et le coût induit. Le gâchis.

    A l'issue de ces 27 mois d'existence (1er octobre 2011-1er janvier 2014), ce pauvre droit de timbre aura suscité bien des questionnements chez les avocats (est-il exigé ou non ? devant quelles juridictions ? A quel moment ?), magistrats (l'absence de timbre peut-elle être régularisée ?  Quelles conséquences tirer de son absence ?), et clients (quelle est cette nouvelle ligne sur la note d'honoraires ?). Il aura suscité bien des débats et contestations, conduisant à des tribunes enflammées et à des recours judiciaires devant les plus hautes juridictions de France (Conseil d'Etat, Conseil constitutionnel).

    La pratique s'était peu à peu fixée, les différents usages tendant à s'harmoniser, la jurisprudence commençait à jouer son rôle régulateur.

    Tout cela en vain.

    Il serait intéressant de calculer le rapport précis de ce droit de timbre, et son apport véritable à la défense des plus démunis.

    Il faudrait chiffrer pour ce faire l'énergie déployée à mettre en place la taxe, à la comprendre, à l'expliciter, à la justifier, à l'interpréter, puis à la commenter, à la combattre pour enfin la démanteler.

    Jusqu'au temps passé à écrire ce post !

    Une histoire bien française, en somme.

    Me Xavier Chabeuf

    Pin It





    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires