• Idée reçueUn arrêt de la Cour de Cassation du 24 octobre 2018 (N°17-20691) vient, discrètement mais sûrement, rappeler que la qualité de « cadre » (par opposition à celles d’ouvrier, d’employé, de technicien ou d’agent de maîtrise) n’exclut pas l’accomplissement et le paiement d’heures supplémentaires.

    Ce n’est pas, en effet, la classification de « cadre » qui exclut le paiement des heures supplémentaires, mais le dispositif, dérogatoire à la durée légale du travail (35h) éventuellement mis en place – si les conditions le permettent -, qui affranchit l’employeur du paiement des heures supplémentaires : les conventions de forfait en heures ou en jours.

    Le « cadre » est, par défaut, un salarié assujetti aux 35 heures hebdomadaires et peut prétendre au paiement de ses heures supplémentaires, à moins qu’il n’ait signé une convention individuelle de forfait et que cette convention respecte un certain nombre de conditions de forme et de fond (cf précédentes parutions sur ce blog).

    Dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt précité, le salarié qui était « cadre », sollicitait un rappel d’heures supplémentaires et, pour en limiter le nombre, la cour d’appel avait retenu « que la reconnaissance du statut de cadre et l'impact que cela peut avoir sur la réalisation d'heures supplémentaires, à défaut de pointage, pour des salariés autonomes et susceptibles de se déplacer, ne plaçait pas le salarié en position d'obtenir gain de cause ».

    Cette motivation allait au-devant d’une censure certaine, qui est intervenue par l’arrêt susvisé qui énonce « que la qualité de cadre et l'existence d'une liberté d'organisation dans le travail ne suffisent pas à exclure le droit au paiement d'heures supplémentaires ».

    Me Manuel Dambrin

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  • Multicarte !Le salarié est tenu envers son employeur et durant l’exécution de son contrat de travail, d’une obligation de loyauté qui découle du contrat de travail, sans avoir à y figurer expressément. Cela impose au salarié de ne pas commettre d’agissements susceptibles de porter préjudice à son employeur, et ce même pendant les périodes de suspension du contrat de travail, tel que les arrêts de travail.

    Le fondement juridique de cette obligation se trouve à l’article L1222-1 du Code du travail qui dispose que « le contrat de travail est exécuté de bonne foi ».

    C’est sur cette obligation de loyauté que s’était fondée une entreprise de stockage informatique pour licencier un salarié à qui elle reprochait d’avoir créé une société hôtelière, qu’il exploitait en tant que gérant pendant ses congés maladie, faits que l’intéressé n’étaient pas parvenu à contester et qui étaient donc acquis aux débats.
    L’employeur estimait que ce licenciement était justifié en ce que l'exercice d'une activité professionnelle, même non concurrente à la sienne, pendant un congé maladie, constituait un manquement fautif à l'obligation de loyauté, préjudiciable à l'employeur.

    Et bien pas nécessairement !

    Dans cette affaire, la Cour de cassation rappelle que « l'exercice d'une activité pendant un arrêt de travail provoqué par la maladie ne constitue pas en lui-même un manquement à l'obligation de loyauté qui subsiste pendant la durée de cet arrêt ; que pour fonder un licenciement, l'acte commis par un salarié durant la suspension du contrat de travail doit causer préjudice à l'employeur ou à l'entreprise » (Cass. Soc., 21 novembre 2017, 16-28513).

    A cet égard, l’employeur soutenait aussi que, hors périodes d’arrêts de travail, le salarié était « difficilement joignable et peu transparent sur son emploi du temps », qu'il avait utilisé le matériel de l'entreprise et avait passé de nombreux appels téléphoniques pour son autre activité bien qu'il était stipulé dans son contrat de travail qu'il s'engageait à consacrer la totalité de son temps de travail à l'exécution de ses fonctions.

    Mais ces arguments n’ont pas convaincu les juges qui, pour juger le licenciement abusif, ont retenu, d’une part, que « la société qui n'apportait pas la preuve que le salarié ait perçu une rémunération de son activité de gérant de la SARL ne pouvait valablement lui opposer la clause d'exclusivité figurant dans son contrat de travail » et, d’autre part, que « l'implication du salarié dans la constitution de la SARL Le Chalet des Domaines de la Vanoise ne constituait pas une activité concurrente à celle de la société employeur, leader mondial de stockage informatique, et n'était pas de nature à lui porter préjudice ».

    Me Manuel Dambrin

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  • Sortie de routeDepuis le 1er janvier 2017, l’employeur doit dénoncer l’identité et l’adresse du salarié qui a commis, avec un véhicule appartenant à l’entreprise, une infraction routière constatée par radar automatique, tel qu’un excès de vitesse, une situation de téléphone au volant ou le non-respect des feux de signalisation.

    C’est ce que prévoit l’article L121-6 du code de la route qui énonce : « Lorsqu'une infraction constatée selon les modalités prévues à l'article L. 130-9 a été commise avec un véhicule dont le titulaire du certificat d'immatriculation est une personne morale ou qui est détenu par une personne morale, le représentant légal de cette personne morale doit indiquer, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou de façon dématérialisée, selon des modalités précisées par arrêté, dans un délai de quarante-cinq jours à compter de l'envoi ou de la remise de l'avis de contravention, à l'autorité mentionnée sur cet avis, l'identité et l'adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule, à moins qu'il n'établisse l'existence d'un vol, d'une usurpation de plaque d'immatriculation ou de tout autre événement de force majeure ».

    Le texte ajoute que « Le fait de contrevenir au présent article est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe ».

    Un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de Cassation rendu le 11 décembre 2018 (n° 18-82628) vient préciser qui est redevable de cette amende : l’entreprise ou son représentant légal ?

    Dans cette affaire, le salarié avait commis un excès de vitesse avec un véhicule de l’entreprise et l’employeur avait refusé de transmettre son identité et son adresse aux autorités. Un avis de contravention pour non-désignation avait alors été adressé, mais au nom et à l’adresse de l’entreprise (personne morale).

    Celle-ci avait alors formé un recours, considérant qu’elle ne pouvait être poursuivie pour non-respect de l’obligation de désignation.

    Le tribunal de police lui a donné raison en estimant que les faits reprochés ne pouvaient pas être imputés à l’entreprise mais uniquement à son représentant légal (personne physique).

    La Cour de cassation n’est pas du même avis : Elle considère que si l’employeur peut être poursuivi pour n’avoir pas satisfait à l’obligation de désignation, l’entreprise peut l’être tout autant, ce qui permet une répression plus efficace puisque l’amende encourue par l’entreprise s’élève à 3 750 €, contre 750 € pour son représentant personne physique…

    Me Manuel Dambrin

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  • Depuis la loi du 30 juillet 2018, le le secret des affaires, entendu comme la protection d’informations économiques et techniques confidentielles des entreprises, est protégé en droit français. Ce texte transpose en droit français une directive communautaire du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales.

    L’idée de la protection est que les entreprises disposent de « secrets » qu’elles ne souhaitent pas voir divulgués à leur concurrent et au grand public : données commerciales ou financières, organisation de l’entreprise, informations relatives aux clients ou au marché, aux prix pratiqués, plans et stratégies de développement.

    L’article L. 151-1 du code de commerce définit l’information protégée comme étant celle qui n’est pas librement accessible, « revêt une valeur commerciale, effective ou potentielle », « fait l’objet de son détenteur légitime de mesures de protections raisonnables ».

    Cette belle idée sera cependant d’application concrète difficile :

    D’une part, la définition d’une information « secrète », donc protégée par l’entreprise, devra être circonscrite par la jurisprudence et il faut donc s’attendre à des années d’incertitude avant que les contours de la notion ne soient stabilisés ;

    D’autre part, l’article L. 151-4 du code de commerce considère comme illicite l’obtention du secret réalisée sans le consentement de son détenteur légitime ou résultant d’un accès non autorisé, ou lorsque la personne savait ou aurait dû savoir que le secret avait été obtenu d’une personne qui avait divulgué le secret de manière illicite : si les deux premiers cas résultent d’une violation claire, le troisième l’est beaucoup moins, lorsque le secret est « de seconde main » et qu’il faudrait savoir qu’il n’aurait pas dû être communiqué ;

    Enfin, les limites au secret des affaires sont nombreuses : la liberté d’expression et la liberté d’information (Elise Lucet pourra continuer à dévoiler les pratiques « condamnables » de certaines grandes entreprises), l’activité des « lanceurs d’alerte » visant à protéger l’intérêt général ; la protection d’un intérêt légitime reconnu par le droit de l’Union européenne ou le droit national (vaste catégorie fourre-tout permettant de limiter le nouveau droit dans des proportions significatives).

    La protection du secret des affaires : à suivre…

    Mais l’inconnue majeure reste, notamment pour l’avocat pratiquant le contentieux commercial, de savoir si ce nouveau secret limitera sa liberté d’action !

    En l’absence d’une procédure de Discovery comparable à ce qui existe aux Etats-Unis, la prime revient souvent en France à la partie qui saura le mieux résister à la communication des pièces nécessaires à la résolution du litige. Les pièces qui ne vont pas dans le sens de son argumentation, cela s’entend. Et le secret des affaires était déjà bien souvent brandi par une partie pour faire obstacle à la demande d’injonction de communiquer des pièces formulée auprès du juge, avec des fortunes diverses.

    Qu’en sera-t-il demain ? Suffira-t-il d’invoquer le secret des affaires pour empêcher une partie tierce à la société d’avoir accès à des documents internes à celle-ci (ancien salarié, concurrent, fournisseur, banquier, …) ?

    Ce serait par trop facile, mais l’on peut d’ores et déjà prédire que les plaideurs auront à cœur de tester les limites de cette nouvelle notion.

    L’article L. 153-1 a bien prévu un dispositif supposé concilier exercice des droits de la défense, accès au Tribunal et respect du secret des affaires, mais ses dispositions byzantines apparaissent naïves et contradictoires :

    « Lorsque, à l'occasion d'une instance civile ou commerciale ayant pour objet une mesure d'instruction sollicitée avant tout procès au fond ou à l'occasion d'une instance au fond, il est fait état ou est demandée la communication ou la production d'une pièce dont il est allégué par une partie ou un tiers ou dont il a été jugé qu'elle est de nature à porter atteinte à un secret des affaires, le juge peut, d'office ou à la demande d'une partie ou d'un tiers, si la protection de ce secret ne peut être assurée autrement et sans préjudice de l'exercice des droits de la défense :

    1° Prendre connaissance seul de cette pièce et, s'il l'estime nécessaire, ordonner une expertise et solliciter l'avis, pour chacune des parties, d'une personne habilitée à l'assister ou la représenter, afin de décider s'il y a lieu d'appliquer des mesures de protection prévues au présent article ;

    2° Décider de limiter la communication ou la production de cette pièce à certains de ses éléments, en ordonner la communication ou la production sous une forme de résumé ou en restreindre l'accès, pour chacune des parties, au plus à une personne physique et une personne habilitée à l'assister ou la représenter ;

    3° Décider que les débats auront lieu et que la décision sera prononcée en chambre du conseil ;

    4° Adapter la motivation de sa décision et les modalités de la publication de celle-ci aux nécessités de la protection du secret des affaires ».

    Or le principe du contradictoire et son corollaire, la discussion par chacune des parties des pièces produites par l’autre partie à l’appui de son argumentation, s’opposent radicalement à ce que certaines pièces produites soient cellées à la partie adverse pour être réservées au juge, ou encore soient tronquées ou interprétées par un tiers.

    Quant à décider que les débats aient lieu en chambre du conseil, c’est signifier qu’il n’y a pas de secret des affaires, car celui-ci aura été communiqué à la partie adverse et l’essentiel des échanges entre les parties devant le tribunal s’effectue par écrit.

    Bref, il est à craindre que cette reconnaissance d’un secret des affaires en droit français ne constitue qu’un progrès bien illusoire.

    Me Xavier Chabeuf

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