• Banques et concours bancaire aux entreprises : permis de tuer, devoir de prévenir

    On sait à quel point le soutien bancaire est essentiel à la vie de l'entreprise et, conséquemment, à quel point son retrait est susceptible d'obérer sa survie, ou a minima d'entraver son développement.

    Pour autant, les banques sont bien évidemment libres de consentir ou non des financements bancaires, puis de les retirer.

    Il est question ici des financements bancaires à durée indéterminée (autorisation de découvert), naturellement, et non aux prêts dont le remboursement est effectué sur une période déterminée et dont l'accélération n'est possible que dans des circonstances précises prévues au contrat de prêt (notamment en cas de défaut dans le remboursement des échéances contactuelles).

    Rien ne saurait donc contraindre les banques à maintenir une autorisation de découvert à perpétuité, et il leur est loisible de réduire leur financement, voire même d'y mettre un terme.

    Les conséquences sont souvent dramatiques pour les entreprises qui doivent alors trouver à se financer différemment et qui, si elles ne le peuvent pas, n'ont pas d'autre choix que de procéder à une déclaration de cessation des paiements (de se mettre sous la protection de la loi sur les faillites, comme on dit joliment parfois).

    La banque ne saurait cependant stopper son concours financier du jour au lendemain et la Loi (article L. 313-12, alinéa 1, du Code monétaire et financier) impose le respect d'un préavis fixé à 60 jours :

    "Tout concours à durée indéterminée, autre qu'occasionnel, qu'un établissement de crédit ou une société de financement consent à une entreprise, ne peut être réduit ou interrompu que sur notification écrite et à l'expiration d'un délai de préavis fixé lors de l'octroi du concours. Ce délai ne peut, sous peine de nullité de la rupture du concours, être inférieur à soixante jours. Dans le respect des dispositions légales applicables, l'établissement de crédit ou la société de financement fournit, sur demande de l'entreprise concernée, les raisons de cette réduction ou interruption, qui ne peuvent être demandées par un tiers ni lui être communiquées".

    Ainsi, dans la situation normale, la banque :

    • est libre de mettre un terme ou de réduire son concours bancaire
    • doit cependant en aviser préalablement son débiteur
    • doit lui laisser un préavis d'au moins deux mois (mais potentiellement supérieur) avant de mettre la mesure en vigueur,
    • sur demande de l'entreprise, lui indique les raisons motivant sa décision.

    La banque n'est dispensée du respect de ce préavis qu' "en cas de comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit ou lorsque la situation de ce dernier s'avère irrémédiablement compromise" (article L. 313-12, alinéa 2, du Code monétaire et financier).

    Cependant, même dans ce cas, la banque reste astreinte à une obligation préalable d'information du bénéficiaire du crédit.

    C'est bien le moins, que la société soit informée de l'arrêt de ses facilités de paiement, et puisse organiser son dépôt de bilan si celui-ci est inéluctable, ou mette en place des solutions alternatives qui ne causent pas davantage de tort à elle-même et à ses co contractants.

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    Le rappel de cette obligation préalable d'information écrite vient d'être effectué par la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 18 mars 2014 (Arret, solution conforme à Cass. com. 22 mai 2002, P. n° 00-16.571; 19 février 1991, P. n° 89-14.825).

    Dans cette affaire, la banque finançait le solde de compte courant débiteur d'une société.

    Considérant que la situation de cette dernière était irrémédiablement compromise, la banque a interrompu son coucours financier du jour au lendemain, sans même prévenir au préalable le débiteur. Elle a immédiatement assigné en paiement la caution, laquelle a ensuite recherché sa responsabilité.

    La Cour d'appel de Douai a considéré que l'arrêt des concours en compte courant n'était pas abusif (la situation de la société était bien irrémédiablement compromise) et a rejeté toute demande d'allocation de dommages-intérêts.

    La Cour de cassation a censuré l'arrêt rendu par le juges du fond, estimant que même si la banque était dispensée de respecter un préavis avant d'interrompre son concours, elle n'en restait pas moins tenue de notifier préalablement par écrit sa décision. 

    Quelle est la sanction de l'absence d'information préalable de l'arrêt du financement adressé par la banque à l'emprunteur ?

    La banque engage sa "responsabilité pécuniaire" indique le troisième et dernier alinéa de l'article L. 313-12 du Code monétaire et financier, c'est-à-dire qu'elle devra verser des dommages-intérêts à la société, afin d'indemniser sa perte de chance de survie.

    Si la situation de la société est bien irrémédiablement compromise, le fait d'être prévenu à l'avance ne change rien à son issue inéluctable, mais permet de ménager les intérêts de ses contractants qui ont intérêt à cesser dans les meilleurs délais toutes relations avec une société vouée à la liquidation judiciaire.

    Cependant, compte tenu des délais pour obtenir la condamnation de la banque dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt du 18 mars 2014 (au moins six ans après une décision de première instance, un arrêt d'appel, un arrêt de la Cour de cassation, puis un renvoi vers une nouvelle Cour d'appel), cette réparation reste sans doute un peu théorique et faiblement dissuasive.

    Ce d'autant que si, comme c'est probable, la société a été mise en liquidation judiciaire à la suite de l'interruption des concours bancaires, la banque se retrouvera à verser une somme au mandataire liquidateur dont la seule conséquence sera de réduire le passif dû, pour partie, à la banque elle-même ! Il s'agira alors de jeux d'écritures, la créance, sans doute irrécouvrable, de la banque étant alors réduite.

    La banque subira d'autant moins les conséquences de son défaut d'information qu'elle aura, comme c'était le cas dans l'arrêt ici examiné et comme àa l'est souvent, exigé des dirigeants personnes physiques qu'ils soient cautions personnelles du financement accordé.

    Faible, tardive, laborieuse : telle sont les caractéristiques de la sanction pécuniaire prononcée par le juge.

    Les banquiers peuvent dormir tranquille.

    Me Xavier Chabeuf

     

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