• Une décision au poil

    Une décision au poilSeul un objectif de sécurité du personnel et des clients de l’entreprise peut légitiment justifier des restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives et permettre d’interdire à un salarié le port d'une barbe arborée comme un signe religieux ou politique.

    C’est le sens de l’arrêt rendu par la Cour de cassation, le 8 juillet 2020 (n°18-23.743), promis à une large diffusion.

    Une société fournissant des prestations de services en matière de sûreté et de défense à des gouvernements et des organisations internationales avait licencié pour faute grave l’un de ses consultants en sûreté dont elle estimait que la barbe était « taillée d'une manière volontairement signifiante aux doubles plans religieux et politiques », mettant en péril la sécurité d'une mission au Yémen ou dans d'autres zones à risques. L’intéressé contestait son licenciement en estimant qu’il était discriminatoire.

    La Cour d’appel de Versailles donnait raison au salarié (CA Versailles 27-9-2018 n° 17/02375), ce qui conduisit l'employeur à se pourvoir en cassation.

    Dans son arrêt, la Cour de cassation rappelle d’abord les principes applicables en matière de respect de la liberté religieuse par l'employeur et des restrictions qu'il peut y apporter.

    Elle énonce ainsi que pour être valables, les restrictions à la liberté religieuse doivent 1/ être justifiées par la nature de la tâche à accomplir ; 2/ répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante ; et 3/ être proportionnées au but recherché.  Elle souligne qu’aux termes de l’article L.1321-3, 2° du Code du travail, de telles restrictions peuvent être prévues par une clause du règlement intérieur à condition de respecter ces principes.

    La Cour de Cassation relève ensuite qu’en l’espèce, l’employeur ne produisait aucun règlement intérieur ni aucune note de service précisant la nature des restrictions qu’il entendait imposer aux salariés en raison des impératifs de sécurité invoqués.

    Pour cette raison déjà, la Cour de Cassation estime que l’interdiction faite au salarié, lors de l’exercice de ses missions, du port de la barbe, en tant qu’elle manifesterait des convictions religieuses et politiques, et l’injonction faite par l’employeur de revenir à une apparence considérée par ce dernier comme plus neutre caractérisaient l’existence d’une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses et politiques du salarié.

    Mais la Cour de Cassation va plus loin ; elle s’interroge sur la possibilité pour l’employeur, en l’absence de règlement intérieur, d'imposer des restrictions à une liberté religieuse. Elle se réfère pour cela à une décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 14 mars 2017 (CJUE 14-3-2017 aff. 188/15 : RJS 5/17 n° 384) selon laquelle une restriction à la liberté religieuse telle que l'interdiction du port de signe religieux ne peut être justifiée que par une « exigence professionnelle essentielle et déterminante ».

    La Cour de Cassation considère que cette « exigence professionnelle essentielle et déterminante » ne peut couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client ; il faut qu’elle réponde à un objectif de sécurité du personnel et des clients de l’entreprise.

    Elle relève qu’en l’espèce, l’employeur ne démontrait pas les risques de sécurité spécifiques liés au port de la barbe dans le cadre de l’exécution de la mission du salarié au Yémen de nature à constituer une justification à une atteinte proportionnée aux libertés du salarié.

    Elle en déduit que l’interdiction faite au salarié, lors de l’exercice de ses missions, du port de la barbe, en tant qu’elle manifesterait des convictions religieuses et politiques, et l’injonction faite au salarié de revenir à une apparence considérée par l’employeur comme plus neutre caractérisaient bien l’existence d’une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses et politiques du salarié. Elle confirme donc la décision de la Cour d’appel : le licenciement est nul.

    S’il est donc possible pour l'employeur d'imposer une restriction à la liberté religieuse au nom d'un impératif de sécurité, notamment en lien avec le port de la barbe, c’est à la condition qu'il démontre que cette restriction est nécessaire pour prévenir un danger objectif pour l’entreprise ou ses clients.

    A titre d’exemple d’un danger objectif, on peut citer l’arrêt de la Cour de Nîmes du 21 juin 2016 (n° 14/04558) qui a déclaré justifié le licenciement d’un salarié travaillant dans une société de démantèlement et de logistique nucléaire dont la barbe empêchait l’étanchéité du masque de sécurité.

    Me Manuel Dambrin

     

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