• La preuve à tout prixLors d’un procès, la preuve des faits allégués peut en principe être apportée pour tous moyens ; on dit que l’administration de la preuve est « libre », par opposition au système dit de la preuve « légale » qui confie au législateur le soin de déterminer des modes de preuve admissibles et commande au juge de tenir pour vrais les faits établis par certains moyens de preuve, sans faire entrer en ligne de compte sa propre appréciation de la force probante des éléments produits.

    Ce principe de liberté de la preuve comporte toutefois une limite, celle de la loyauté : la preuve doit être loyale.

    Ce principe de loyauté vise par exemple à exclure des débats des éléments de preuve recueillis à l’insu de la personne concernée, telle une filature clandestine pour démontrer les incartades d’un salarié.

    Dans l’affaire qui a donné lieu à la décision de la Cour d'appel de Versailles du 5 janvier 2022 (n°19/03830), l’employeur avait découvert que l’un des salariés du service d’assistance téléphonique aux clients ne raccrochait pas après avoir traité les appels, pour éviter d’en prendre de nouveaux et restait ainsi injoignable par d’autres clients pendant de longues minutes, qu’il mettait à profit pour discuter avec ses collègues.

    L’employeur avait pris soin de faire constater ce stratagème par un huissier qui avait dressé un procès-verbal accablant ; les faits étaient graves et établis ; le licenciement pour faute grave ne se fit pas attendre.

    A tort selon les juges : « Il résulte […] du principe de loyauté dans l’administration de la preuve que l’enregistrement d’une conversation réalisé à l’insu de l’auteur des propos invoqués constitue un procédé déloyal. Or, il n’est pas établi en l’espèce que M. X ait été informé que lorsque l’appel n’était pas clôturé à la fin de la communication avec l’utilisateur de la borne d’appel, les propos échangés sur le plateau du centre d’appel étaient enregistrés. Il s’agissait en conséquence d’un procédé d’enregistrement clandestin, contraire au principe de la loyauté dans l’administration de la preuve ».

    Me Manuel Dambrin

     

    Pin It

  • Il ne faut pas confondre la mise à pied « disciplinaire » et la mise à pied « conservatoire »La première est une sanction en tant que telle et, à ce titre, elle épuise le pouvoir disciplinaire en ce sens que les faits qu’elle vise ne pourront être sanctionnés une nouvelle fois ; la seconde est une mesure d’attente, faisant suite à une faute ou à une suspicion de faute et dont l’objet est de suspendre provisoirement le contrat de travail, le temps de mener les investigations nécessaires à la confirmation ou à l’infirmation de la faute et, le cas échéant, de prononcer une sanction qui peut aller de l’avertissement au licenciement.

    Mais attention, pour être qualifiée de telle, la mise à pied « conservatoire » doit être notifiée concomitamment à la procédure disciplinaire qui a justifié sa mise en œuvre, sans quoi elle risque d’être requalifiée en mise à pied disciplinaire ; la sanction projetée ne sera alors plus possible en vertu du principe « non bis in idem ».

    Bien que n’étant pas nouvelle, c’est la leçon à tirer de l’arrêt rendu par la Cour de cassation, Chambre sociale, le 2 février 2022 (n°20-14.782).

    Dans cette affaire, le collaborateur d’une société d’expertise comptable, soupçonné de fraude, avait été mis à pied à titre conservatoire le 5 octobre 2015 mais n’avait été convoqué à un entretien préalable au licenciement que le 4 décembre 2015, pour être finalement licencié pour faute grave le 21 décembre suivant.

    Il s’était ainsi écoulé près de deux mois entre la mise à pied conservatoire et le déclenchement de la procédure disciplinaire.

    Délai excessif, selon la Cour de cassation, pour qui la mise à pied qualifiée de « conservatoire » présentait dès lors un caractère « disciplinaire », de sorte que l’employeur ne pouvait ensuite décider, à raison des mêmes faits, le licenciement de l’intéressé, lequel était abusif.

    Me Manuel Dambrin

     

    Pin It

  • Sortie de routeEn principe, un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut pas justifier un licenciement disciplinaire.

    Ainsi par exemple, lorsque le salarié a commis une infraction au code de la route, entrainant une suspension ou un retrait de permis de conduire en dehors du temps de travail, le licenciement pour ce motif n’est pas possible. Il en va de même du salarié qui aurait été condamné pour des pratiques exhibitionnistes commises sur son temps libre.

    Un licenciement pourra toutefois être prononcé, non pas en raison des infractions commises – ce licenciement serait abusif - mais en raison des répercutions de celles-ci sur le fonctionnement de l’entreprise et de l’impossibilité pour le salarié de poursuivre l’exécution de son contrat de travail (pour un salarié chauffeur dans le premier exemple) ou du risque pour la sécurité (pour un salarié éducateur scolaire dans le second exemple).

    A l’inverse, si les mêmes infractions sont commises pendant le temps de travail, le licenciement sera possible, sans qu’il soit forcément nécessaire de démontrer la gêne occasionnée à l’entreprise.

    Mais la ligne de crête entre faits commis au travail, d’une part, et faits commis en dehors du temps de travail, d’autre part, est parfois difficile à tracer, comme le montre l’arrêt rendu par la Cour de cassation, Chambre sociale, le 19 janvier 2022 (n°20-19.742).

    Dans cette affaire, le salarié avait causé un accident de la circulation alors qu’il rentrait chez lui, après avoir participé à un salon professionnel, sous l’empire d’un état alcoolique, avec le véhicule de fonction, entre 22 heures et 23 heures.

    Pour contester le licenciement pour faute grave dont il avait fait l’objet, il soutenait notamment, fort à propos, qu’il n’était plus sous la subordination de son employeur au moment des faits, que le fait que le véhicule endommagé soit une voiture de fonction ne suffisait pas à conférer à l’accident un caractère professionnel dès lors qu’il l’utilisait tant dans le cadre de sa vie professionnelle que personnelle et, enfin, qu’il n’avait reçu aucune contrepartie financière ou de repos pour ce trajet.

    Mais ces arguments n’ont pas convaincu la Cour d’appel, qui a décidé, approuvée par la Cour de cassation, que les faits visés dans la lettre de licenciement, dont le salarié ne contestait pas la matérialité, avaient été commis, alors qu’il conduisait sous l’empire d’un état alcoolique son véhicule de fonction, au retour d’un salon professionnel, où il s’était rendu sur instruction de son employeur, de sorte que les faits reprochés se rattachaient à la vie professionnelle du salarié.

    Me Manuel Dambrin

     

    Pin It

  • Mutation mortelleLa liberté de religion est consacrée par une multitude de textes. En droit du travail, le législateur accorde une importance certaine au « fait religieux » en entreprise. Ainsi, l’article L. 1132-1 du code du travail prohibe toute sanction ou tout licenciement en raison des « convictions religieuses » du salarié et l’article L. 1321-3 édicte que le règlement intérieur ne peut « comporter de dispositions lésant les salariés dans leur emploi et leur travail en raison […] de leurs opinions ou confessions ».

    Mais la liberté de religion se heurte parfois aux choix de l’employeur et à son pouvoir de direction et de sanction.

    Le salarié peut en effet invoquer un motif religieux pour se soustraire à des directives et l’on en vient alors à s’interroger sur le niveau d’acceptabilité du refus ainsi opposé : jusqu’à quel point le salarié est-il légitime à brandir ses croyances pour s’opposer à l’exécution des tâches relevant normalement de ses fonctions ?

    C’est à cette question que répond l’arrêt rendu par la chambre sociale le 19 janvier 2022 (Soc. 19 janv. 2022, FS-B, n° 20-14.014).

    Dans cette affaire, le chef d’équipe au sein d’une entreprise de nettoyage avait refusé sa mutation, pourtant conforme à sa clause de mobilité, sur le site d’un cimetière, motif pris de ses convictions religieuses hindouistes.

    Estimant ce refus fautif, l’employeur lui notifiait d’abord une mutation disciplinaire sur un autre site plus « conventionnel » puis, devant le refus réitéré du salarié de rejoindre son nouveau poste, le licenciait pour faute.

    Se considérant, quant à lui, discriminé en raison de sa religion, le salarié saisissait le Conseil de prud'hommes puis la Cour d’appel et obtenait gain de cause, la cour d’appel de Paris prononçant la nullité de la sanction disciplinaire et du licenciement.

    A tort selon la Cour de cassation.

    Après avoir rappelé que « les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir » et « répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché », la Cour de cassation considère que « la mutation disciplinaire prononcée par l’employeur était justifiée par une exigence professionnelle essentielle et déterminante ».

    Autrement dit, les juges ont considéré que l’employeur avait agi de manière équilibré et raisonné devant le refus du salarié de travailler sur le site mortuaire, en ne le licenciant qu’après lui avoir donné l’opportunité de poursuivre sa collaboration sur un autre site compatible avec sa foi. 

    Me Manuel Dambrin

     

    Pin It

  • Lanceur d’alerte : la protection joue également pour la dénonciation de manquements à des obligations déontologiquesLe lanceur d’alerte est celui qui communique à des tiers à son entreprise des faits susceptibles de nuire à celle-ci en raison de leur caractère scandaleux ou répréhensible.

    C’est la loi du 6 décembre 2013 qui a introduit dans le code du travail les premières dispositions protégeant les lanceurs d’alerte en alignant cette protection sur celle des dénonciateurs ou témoins de discriminations : toute mesure prise à leur encontre, tel qu’un licenciement, est nulle et ouvre droit, au choix du salarié, à réintégration ou à indemnisation.

    La Cour de cassation est venue préciser, sur le fondement de la liberté d’expression, le régime de la protection assurée au lanceur d’alerte : celui-ci doit agir de bonne foi.

    Cela ne signifie pas que les faits dénoncés doivent être avérés ; le lanceur d’alerte a droit à l’erreur.

    Cela signifie que la protection liée à la dénonciation des faits n’est écartée que si le salarié avait connaissance de la fausseté des faits dénoncés, car alors il est de mauvaise foi.

    C’est dans ce contexte qu’intervient l’arrêt du 19 janvier 2022 rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation en matière de violation de règles déontologiques propres à la profession d’expert-comptable (Soc. 19 janv. 2021, FS-B, n° 20-10.057).

    La bonne foi étant toujours présumée, c’est à l’employeur qu’il appartiendra de rapporter la preuve de la mauvaise foi du salarié, ce qui peut ne pas être une mince affaire.

    En l’espèce, le salarié d’une société d’expertise-comptable et de commissariat aux comptes avait, par lettre recommandée, alerté son employeur sur une situation de conflit d’intérêts entre ses missions d’expert-comptable et celles de commissaire aux comptes, indiquant qu’il saisirait la compagnie régionale des commissaires aux comptes en cas d’inertie de ce dernier à la suite de son alerte, ce qu’il avait fait, la veille de l’entretien préalable à son licenciement, et avant d’être licencié pour faute grave une semaine plus tard.

    Contestant son licenciement, le salarié saisit la juridiction prud’homale, qui annule son licenciement et cette solution est confirmée par la Cour de cassation, qui rappelle le principe selon lequel le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales ou des manquements à des obligations déontologiques prévues par la loi ou le règlement, est frappé de nullité.

    L’apport de cette décision est d’étendre la protection à la dénonciation de « manquements à des obligations déontologiques », quand elle était jusqu’à présent réservée aux faits susceptibles d’être constitutifs d’un délit ou d’un crime.

    Me Manuel Dambrin

     

    Pin It

  • Le flux et le refluxSelon l'un des principes fondamentaux applicables en droit de la responsabilité, une faute n'entraîne la responsabilité de son auteur que si elle est la cause d’un préjudice dont il appartient à la victime de démontrer l’existence et la consistance.

    Mais le droit du travail s’affranchit parfois des principes fondamentaux.

    Pendant un temps, selon une approche davantage punitive qu’indemnitaire, la Cour de cassation a considéré que certains manquements de l'employeur causaient « nécessairement » un préjudice au salarié, ce qui revenait à dispenser ce dernier de prouver l’existence d’un préjudice pour être indemnisé. Ainsi en allait-il d’une clause de non-concurrence nulle, de la remise tardive de documents de fin de contrat, de l’absence de mention de la convention collective sur les bulletins de paie, ou encore du défaut de la mention de la priorité de réembauchage dans la lettre de licenciement pour motif économique.

    Puis, devant l’allongement sans fin de la liste des « préjudices nécessairement causés », par un arrêt du 13 avril 2016 (n°14-28.293) la Cour de Cassation était revenue à l’orthodoxie juridique en posant que « l'existence d'un préjudice et l'évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond ; que le conseil de prud'hommes, qui a constaté que le salarié n'apportait aucun élément pour justifier le préjudice allégué, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision [de débouté] ».

    Mais chassez le naturel, …

    Comme le montre l’affaire tranchée le 26 janvier 2022 (n° 20-21.636) la Cour de cassation introduit une exception à la nécessité pour le salarié de justifier d’un préjudice, dans le domaine du temps de travail.

    En l’espèce, un chauffeur-livreur avait demandé aux juges de condamner son employeur à lui verser des dommages-intérêts pour violation de la durée maximale du travail hebdomadaire (laquelle ne doit pas dépasser 48 h sur une semaine civile). Or, le salarié avait travaillé 50,45 heures durant la semaine du 6 au 11 juillet 2015.

    Les juges du fond (Cour d’appel) avaient refusé de l’indemniser pour ce dépassement car il n’avait pas prouvé « très exactement en quoi ces horaires chargés » lui avaient été préjudiciables (nous ne parlons pas ici du paiement des heures supplémentaires en tant que telles mais bien d’une indemnisation pour le dépassement du temps de travail autorisé).

    A tort, selon la Cour de Cassation, pour qui « le seul constat du dépassement de la durée maximale de travail ouvre droit à la réparation ».

    Il est vraisemblable que ce raisonnement va faire s’étendre à tous les contentieux liés aux règles de la durée du travail garantissant la sécurité et la santé des salariés (ex. : temps de pause, travail de nuit, congés, etc…), dont le non-respect suffira à entrainer une indemnisation, sans que le salarié ait à rapporter la preuve d’un préjudice.

    Me Manuel Dambrin

     

    Pin It

  • Construction : la violation des DTU ne donne pas nécessairement lieu à indemnisation en cas de violationDes entrepôts sont édifiés puis, après réception, une partie de la toiture s’effondre à la suite de précipitations importantes.

    L’expert judiciaire désigné afin d’établir les responsabilités dans cet événement estime que la construction était non conforme comme ne respectant pas le document technique unifié (DTU) applicable, tout en retenant que le désordre était en fait imputable à un défaut d’entretien de la toiture et de l’évacuation des eaux pluviales.

    La question qui se posait était de savoir si la simple violation de DTU ouvrait droit à indemnisation au bénéfice du propriétaire du bâtiment ou à remise en conformité.

    Ce cas de figure se présente fréquemment à l’occasion d’expertises en droit de la construction révélant, à l’occasion de la recherche de l’origine d’un désordre, des non-conformités affectant différentes parties de l’ouvrage.

    La tentation est forte, alors, pour la partie propriétaire de l’ouvrage, de saisir l’occasion de l’indemnisation de son préjudice initial pour demander des remises en état pour non-respect des DTU qui n’étaient pas envisagées initialement, faute d’avoir été la cause de désordres.

    La Cour d’appel a jugé que la violation des DTU ouvrait droit à indemnisation du propriétaire de l’ouvrage, mais a été retoquée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt du 10 juin 2021 (n° 20-15.277).

    Pour la Cour suprême, le non-respect des normes qui ne sont rendues obligatoires ni par la loi ni par le contrat n’appelle ni indemnisation ni mise en conformité.

    Si cette solution n’est pas nouvelle, elle mérite d’être gardée à l’esprit.

    Elle est de bon sens car les DTU foisonnent et n’ont pas de caractère réglementaire. Ils sont simplement arrêtés par les organes de représentation des professionnels du secteur.

    Les constructeurs les ignorent souvent, soit volontairement, soit parce qu’ils ne les connaissent pas.

    En tout état de cause, ce n’est pas parce que les DTU n’ont pas été respectés que des désordres apparaissent, fort heureusement, et il est des ouvrages bien solides ignorant les DTU. C’est le cas de tous les bâtiments anciens et certains sont là depuis des siècles…

    Il est naturellement préférable de respecter les DTU, mais ce que la Cour de cassation souligne, c’est que si l’on souhaite se prévaloir du non-respect des DTU, il faut prévoir contractuellement qu’elles doivent être respectées.

    Me Xavier Chabeuf

    Pin It

  • La distribution des tracts syndicaux est une question sérieuseElle ne peut avoir lieu, selon l’article L. 2142-4 du Code du travail, qu’« aux heures d’entrée et de sortie du travail ».

    Traditionnellement, la jurisprudence applique strictement cette règle, en interdisant par exemple à un syndicat de distribuer des tracts à l’heure de la pause déjeuner, car « le temps de repas pris dans un local situé dans l’enceinte de l’entreprise ne saurait (…) être assimilé à des heures d’entrée et de sortie du travail » (Cass. soc. 9 juin 1983, n°82-11.087).

    Mais comment appliquer cette règle en cas d’horaires variables ?

    C’est la question à laquelle a répondu la Cour de cassation dans son arrêt du 5 janvier 2022 (chambre sociale, pourvoi n°20-15.005).

    Dans cette affaire, l’employeur avait cru pouvoir interdire au délégué syndical CFDT de la métallurgie horlogerie de Besançon et du Haut Doubs, de distribuer ses tracts à 12h15, quand un accord d’entreprise sur l’organisation du temps de travail prévoyait une plage d’horaires variables, allant de 11h30 à 14h00, dans la limite de laquelle chaque salarié pouvait choisir ses heures d’arrivée et de départ.

    A tort, selon les hauts magistrats, pour qui la distribution litigieuse avait été effectuée valablement, à une heure comprise dans la plage d’horaires prévue dans l’accord d’entreprise, et ce d’autant plus que l’employeur ne démontrait pas avoir adressé la même injonction au syndicat concurrent CFE-CGC, ce qui constituait rien moins qu’une discrimination envers la CFDT.

    Me Manuel Dambrin

     

    Pin It

  • La sanction de la rupture brutale des relations commerciales peut être la continuation temporaire des échanges commerciauxAu motif de l’augmentation du cours du porc, une coopérative agricole spécialisée dans l’achat, l’abattage, la découpe de porc et la charcuterie souhaite augmenter le prix de certains de ses produits (jambons) dans le cadre du contrat qui la lie à une société qui prépare et vend des produits alimentaires.

    Les négociations n’aboutissent pas et la coopérative notifie à son client la cessation de leurs relations commerciales avec effet immédiat, la mettant, on l’imagine, en difficulté vu que les partenaires sont en relations d’affaires depuis huit années. L’arrêt ici commenté (Cour de cassation, 1ère chambre civile, 24 novembre 2021, n° 20-15.789) indique d’ailleurs que le client avait été « brusquement privé d’un fournisseur stratégique pendant une période de forte activité ».

    Le client poursuit son fournisseur pour faire constater la rupture brutale des relations commerciales et ordonner leur poursuite pour une durée de douze mois avec obligation de renégocier de bonne foi les prix.

    On le sait, l'article L. 442 -6-I-5° du Code de commerce prévoit qu’engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice  causé  le  fait,  par  tout  producteur,  commerçant,  industriel  ou  personne « de rompre brutalement, même partiellement,  une relation commerciale  établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale  et respectant la durée minimale de préavis déterminée ».

    Ce qui nous intéresse plus particulièrement ici tient à la sanction de la rupture brutale des relations commerciale qui était, là, évidente.

    Elle consiste le plus souvent en une indemnisation destinée à compenser la privation d’un préavis de rupture des relations commerciales. En effet, si nul ne saurait être contraint de perpétuer des relations commerciales avec un partenaire qui ne donne plus satisfaction, il convient de le prévenir suffisamment à l’avance pour qu’il puisse trouver une solution de rechange et se réorganiser, ce qui vaut aussi bien pour les fournisseurs que pour les clients.

    Au cas précis, le client allait plus loin, car il demandait à ce que la coopérative continue de l’approvisionner à un prix raisonnable pendant un an : il s’agissait d’obliger les partenaires à continuer d’échanger ensemble pendant un an.

    Le juge des référés du Tribunal de commerce de Rennes a satisfait cette demande et a ordonné la poursuite des relations commerciales pendant quatre mois au prix majoré accepté par le client durant les négociations précédant la rupture. Il a aussi dit qu’en cas de manquement à ces livraisons, le fournisseur serait condamné au versement d’une astreinte d’un montant de 5.000 € par jour de retard.

    La solution pourrait inquiéter sur le plan pratique.

    D’une part, l’on sait qu’il est délicat de forcer des gens qui ne s’aiment plus à continuer de vivre sous le même toit ou de réintégrer dans l’entreprise un salarié licencié de manière abusive. Il en va pareillement ici, et l’on peut entrevoir que les relations au quotidien entre les parties seront difficiles à gérer pendant les quatre mois durant lesquels elles devront se poursuivre. Il est d’ailleurs à craindre que la coopérative n’exploite le moindre manquement de son client pour rompre les relations commerciales, mais pour faute, cette fois-ci.

    D’autre part, la continuation forcée des relations commerciales pourrait se comprendre si le client ne disposait d’aucune alternative crédible au fournisseur qui a rompu les relations commerciales. Toutefois, on peut douter que ce soit le cas pour ce qui est du marché du jambon, sur lequel les fournisseurs, en France et dans l’Union européenne sont nombreux. Le cas ici examiné était cependant particulier car le fournisseur était le fournisseur exclusif du client et ce depuis huit années. L’on peut comprendre qu’une solution alternative ne soit pas disponible immédiatement.

    Il demeure, la solution rendue par le Président du Tribunal de commerce de Rennes apparaît bien justifiée pour deux raisons :

    -       D’une part, la poursuite des relations commerciales est limitée à quatre mois, soit bien en-deçà de la demande du client (un an), ce qui constitue une durée raisonnable et supportable pour trouver une solution alternative ;

    -       D’autre part, parce que le juge breton et le client ont fait preuve d’une célérité exceptionnelle, qui ont permis que la condamnation prononcée soit effective.

    En effet, le fournisseur a notifié la fin des relations commerciales le 4 juillet 2019, le client l’a assigné en référé le 8 juillet 2019, et l’ordonnance du Président du Tribunal de commerce de Rennes a été rendue le 11 juillet, soit une semaine après la notification de la rupture !

    Dans de telles circonstances, les dégâts causés au client par la rupture des relations commerciales s’en sont trouvés limités. Il en serait allé bien différemment si le Président du Tribunal de commerce avait rendu son ordonnance plusieurs mois après sa saisine. On constate, là encore, la qualité de la juridiction commerciale, qui sait souvent s’adapter aux contraintes de la vie réelle dans le monde économique.

    Il en allait d’autant plus ainsi que la condamnation à une astreinte d’un montant significatif de 5.000 € par jour de retard constituait une incitation franche pour le fournisseur à applique l’ordonnance.

    Me Xavier Chabeuf

    Pin It

  • La faute inexcusableLe salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne peut en principe pas se retourner contre son employeur pour obtenir une indemnisation car celle-ci est versée forfaitairement par les prestations servies par la Sécurité Sociale (indemnités journalières, rentes) qui sont financées, en amont, par les cotisations « accidents du travail » à la charge des employeurs.

    Ce mécanisme, dérogatoire au droit commun de la responsabilité (qui veut que l’on puisse demander réparation à l’auteur d’un dommage), assure l’effectivité de l’indemnisation des victimes d’accident du travail ou d’une maladie professionnelle et évite aux employeurs les risques de condamnation à de lourds dommages et intérêts. 

    Il connait toutefois une exception : lorsque l’accident ou a maladie résulte d’une « faute inexcusable » de l’employeur.

    Selon la formule consacrée, l’employeur commet une « faute inexcusable » dès lors qu’il « avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ».

    Dans ce cas, le salarié retrouve une action civile directe à l’encontre de l’employeur, qui peut être condamné à lui verser des dommages et intérêts, en complément des prestations servies par la Caisse de Sécurité Sociale.

    C’est l’action qu’avait intentée la vendeuse en charcuterie qui était employée au sein d’une boucherie, dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 9 décembre 2021 (2ème chambre civile, n°20-13857).

    La porte métallique coulissante menant aux vestiaires, qui s’ouvrait du bas vers le haut, lui était tombé sur le pied et lui avait occasionné des blessures.

    Selon la salariée, son employeur ne pouvait ignorer la dangerosité de cette porte, d’un poids de 250 kilogrammes, qui ne disposait d’aucun système permettant d’amortir ou de freiner sa descente, malgré les observations de l’inspection du travail.

    Sans doute de telles circonstances étaient-elles de nature à caractériser la faute inexcusable, mais pas en l’espèce selon les juges, qui ont estimé qu’il résultait du dossier que la porte métallique impliquée dans l’accident n’avait jamais connu de dysfonctionnement et que l’inspecteur du travail, lors d’un contrôle postérieur à l’accident, n’avait relevé aucun défaut de la porte métallique et aucune anomalie en lien avec l’accident.

    Me Manuel Dambrin

     

    Pin It