• Dès l’ancien régime, il est apparu nécessaire d’interdire les libéralités faites à certains professionnels.

    Ainsi l’article 909 du code civil prévoit-il depuis l’origine que ne peuvent être désignés bénéficiaires de donations ou être couchés sur un testament les médecins, pharmaciens, auxiliaires médicaux ayant « prodigué des soins à une personne pendant la maladie dont elle meurt ».

    Une telle donation est nulle si le donateur, testateur ou ses héritiers le demande et il n’est pas besoin de rapporter la preuve que la personne à l’origine de l’intention libérale n’était pas saine d’esprit.

    Il s’agit là d’une exception importante aux dispositions de l’article 902 du code civil consacrant le principe de libre disposition de son patrimoine : « Toutes personnes peuvent disposer et recevoir soit par donation entre vifs, soit par testament ».

    Cette exception apparaît justifiée par le fait que les personnes en fin de vie sont sous l’influence, dans la dépendance, des personnes qui leur prodiguent des soins, lesquelles doivent conserver une indépendance professionnelle totale, rester à l’abri de tout conflit d’intérêts : « Quel que soit le professionnel en cause, auxiliaire de vie, garde-malade ou encore aide-ménagère, il doit être permis de s’assurer par principe de leur désintérêt pour le patrimoine de la personne vulnérable auprès de laquelle ils interviennent » (Professeur Anne-Marie Leroyer).

    Les faits à l’origine de la saisine du Conseil constitutionnel et de sa décision n° 2020-888 QPC du 12 mars 2021 ne concernaient pas un professionnel de santé mais une femme de ménage qui s’était vu léguer l’appartement de la dame qui l’employait par un testament olographe (rédigé à la main et non déposé chez un notaire) rédigé six mois avant son décès.

    Les cousins de la défunte avaient contesté ce legs sur le fondement de l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles qui étendait l’incapacité de donner ou de disposer aux personnes prenant en charge ou assistant les personnes vulnérables (disposition instituée en 2015).

    En effet, compte tenu du vieillissement de la population française, de la généralisation des situations de dépendance, le législateur a souhaité prohiber les donations ou legs bénéficiant initialement aux seuls médecins, pharmaciens et auxiliaires médicaux aux mandataires judiciaires à la protection des majeurs et aussi, par l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles, à tous les intervenants des hôpitaux, maisons de retraite, accueillants familiaux, personnes délivrant des services à la personne à domicile favorisant leur maintien chez elle.

    Cette disposition, assez large il est vrai, paraissait bien adaptée à la réalité contemporaine de la vie des personnes dépendantes et de leur vulnérabilité face aux personnes qui les assistent.

    Protéger les personnes âgées vulnérables des aidants et soignants trop bien intentionnés

    Pourtant, le Conseil constitutionnel a censuré l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles au motif qu’il portait une atteinte jugée disproportionnée au droit de disposer de ses biens, composante du droit de propriété protégé par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

    Selon la juridiction suprême, la disposition en question était critiquable en ce qu’elle ne prenait pas en compte la capacité juridique ou l’existence d’une vulnérabilité particulière des opposants.

    C’est donc le retour au régime commun des nullités des donations et legs pour ce qui concerne toutes les personnes visées par l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles, avec l’obligation pour les héritiers lésés de rapporter la preuve de l’insanité d’esprit du donataire ou légataire au moment de la donation ou du legs.

    D’expérience, ces procédures judiciaires sont longues, pénibles et coûteuses ; la preuve de l’insanité d’esprit au moment où l’acte à l’origine de la donation ou du legs a été accompli est souvent très difficile à rapporter. Elle exige généralement une ou des expertises médicales effectuées a posteriori, souvent sur pièces.

    Cette décision du Conseil constitutionnel fragilise la protection des personnes vulnérables et il faut souhaiter que sa portée ne soit pas trop vite diffusée auprès des personnels concernés…

    Par ailleurs, faut-il considérer que les dispositions mêmes de l’article 909 (concernant les personnels soignants) du code civil sont menacées ? Il n’est pas interdit de le penser.

    En effet, au cas présent, le fondement textuel de la décision rendue par le Conseil constitutionnel, l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789, est des plus évanescents et il est patent que le Conseil constitutionnel s’est autorisé à substituer son appréciation subjective à celle du législateur.

    Dans la mesure où l’on ne mesure pas la différence de nature, pour ce qui concerne la vulnérabilité des personnes concernées, d’un personnel de santé (article 909 du code civil) ou d’un personnel d’EHPAD ou intervenant à domicile, il est à craindre qu’une prochaine question prioritaire de constitutionnalité n’écarte l’application de l’article 909 du code civil.

     

    Cette solution nous apparaîtrait comme une défaite pour les personnes vulnérables, que la loi doit protéger contre la rapacité de certains aidants. 

    Une solution intermédiaire - par exemple l'exigence d'un acte notarié et une information préalable aux héritiers potentiels - pourrait constituer une bonne solution permettant de concilier protection des personnes vulnérables et respect de leur capacité à administrer leur patrimoine.

    Me Xavier Chabeuf

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  • Time is moneyLa durée du procès est souvent perçue par le salarié comme un handicap voire un obstacle à l’engagement même de la procédure puisqu’en matière prud’homale, si l’on additionne les délais de première instance (Conseil de Prud'hommes) et ceux d’appel (procédure devant la Cour d’appel), l’issue définitive du procès n’est généralement pas à attendre avant trois à quatre ans, en région parisienne. Qu’un pourvoi en cassation soit formé et ce délai peut alors être multiplié par deux.

    Mais, d’un autre point de vue, la procédure judiciaire peut aussi prendre des allures de « placement financier » en raison des intérêts légaux élevés que les condamnations finalement prononcées génèrent et, plus encore, en raison du point de départ de ces intérêts.

    Les intérêts légaux sont « de droit », c’est-à-dire qu’ils n’ont pas à être demandé ni à être spécialement accordés par le juge.

    Tandis qu’un seul taux, dérisoire (0,04%), était appliqué jusqu’en 2014, l’ordonnance n°2014-947 du 20 août 2014 distingue les créances « professionnelles » et les créances « particulières ».

    Pour ces dernières, dont font partie les condamnations prud’homales, le taux d’intérêt légal est actuellement de 3,14%.

    En outre, le point de départ de ces intérêts varie selon la nature de la condamnation.

    D’un côté, il y a les condamnations ayant le caractère de dommages et intérêts : celles-ci produisent des intérêts à compter de la décision qui les prononcent, permettant à l’employeur d’éviter que les intérêts ne courent de trop en exécutant rapidement la décision de justice (étant précisé que si l’employeur n’a pas exécuté la décision dans un délai de deux mois suivant sa date d’application, le taux d’intérêt est majoré de 5 points).

    De l’autre côté, il y a les condamnations ayant la nature de salaires (heures supplémentaires, congés payés, indemnité de préavis, primes, bonus…) et l’indemnité de licenciement : celles-ci produisent des intérêts à compter de la saisine du Conseil de Prud'hommes.

    A titre d’exemple, le salarié qui a saisi le Conseil de Prud'hommes le 1er janvier 2018 et qui obtient quatre ans plus tard, soit le 1er janvier 2021, un rappel de salaire de 50.000 €, pourra également prétendre à 5 070,48 € au titre des intérêts légaux.

    Ne placez plus votre argent sur des comptes d’épargne, faites des procès !

    Me Manuel Dambrin

    P.S. Nous prions les âmes sensibles de bien vouloir nous excuser pour ce trait d’humour cynique

     

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  • "Salariat déguisé"En France, le contrat de travail est la forme de collaboration la plus répandue permettant à une personne de s’engager à mettre son activité à la disposition d’une autre, moyennant rémunération.

    Ce n’est toutefois pas la seule : il est possible de mettre son activité à la disposition d’une personne ou d’une entreprise, contre rémunération, sans être liée à cette dernière par un contrat de travail. C’est le cas du travailleur indépendant, du prestataire de service, du sous-traitant, du gérant, de l’associés, de l’autoentrepreneur, etc…

    Ce qui distingue le salariat de toutes les autres formes de collaboration, c’est le lien de subordination qu’implique le contrat de travail, c’est à dire pas seulement l’exécution d’un travail, mais l’exécution d’un travail « sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné » (définition du lien de subordination selon la jurisprudence).

    L’enjeu de la distinction est essentiel : le salarié bénéficie d’un régime protecteur de ses intérêts durant l’exécution et jusque longtemps après la rupture de la relation, auquel les autres formes de collaboration n’ouvrent pas droit (contrôle du temps de travail, hygiène et sécurité, rémunération minimum, transfert du contrat en cas de changement d’employeur, indemnité de licenciement, droit aux allocations chômage, retraite...).

    C’est pourquoi il existe un abondant contentieux dit de la « requalification », consistant pour des prestataires ou des travailleurs indépendants à faire requalifier par le juge le contrat les liant ou les ayant liés au bénéficiaire économique de leurs prestations, afin d’en tirer les conséquences.

    Celles-ci peuvent être multiples et redoutables du fait de la rétroactivité qui s’y attache (heures supplémentaires si le temps de travail a excédé 35 heures hebdomadaires, travail dissimulé, indemnité de licenciement si la collaboration a cessé, dommages et intérêts pour licenciement abusif, etc…).

    Ce contentieux se nourrit du caractère d’Ordre public du droit du travail et du principe jurisprudentiel qui en découle, selon lequel l’existence d’un contrat de travail ne dépend pas de la qualification que les parties ont donné à leur relation, ni même de leur volonté, réelle ou supposée, mais uniquement des conditions de fait dans lesquelles est exercée la prestation de travail.

    Autrement dit : aucune renonciation à l’application du droit du travail n’est légalement possible.

    D’un « coup de baguette magique », le juge pourra ainsi requalifier en contrat de travail, toute autre forme de collaboration, dès lors qu’il constatera que le travail a été exécuté dans le cadre d’un lien de subordination, celui-ci étant caractérisé par la technique dite du « faisceau d’indices ».

    Tous les secteurs d’activité sont concernés par ce « salariat déguisé », des conférenciers aux chauffeurs de taxi, en passant par les architectes, sans oublier les artisans dûment inscrits au répertoire des métiers, et même les avocats collaborateurs.

    C’est ainsi par exemple qu’a été requalifié en contrat de travail le contrat de prestations conclu entre une graphiste et une maison de couture, la Cour d’appel ayant constaté qu’il résultait des mails échangés que la dirigeante lui donnait des directives et encadrait son travail, ajoutant que l’intéressée travaillait dans les locaux de l’entreprise, avec les moyens procurés par celle-ci, et facturait chaque mois pour des montants équivalents avec une régularité évocatrice d’une relation salariale (Cour d’appel de Paris, 1er octobre 2014, n°12/04332).

    Me Manuel Dambrin

     

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  • Rupture abusive du contrat de travail... par le salariéL’employeur n’a pas le monopole de la rupture abusive du contrat de travail, comme l’illustre l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Bordeaux le 10 février 2021 (section A, n° 18/00396).

    Dans l’affaire ayant donné lieu à cette décision, le salarié avait signé, en décembre 2016, un contrat de travail pour entrer au service d’un groupement foncier agricole en qualité de « gardien » à compter du 13 février 2017.

    Mais, le jour de sa prise de poste, le salarié ne se présentait pas, de sorte que la société lui adressait une mise en demeure de prendre son travail, laquelle restait sans réponse.

    La société saisissait alors le conseil de prud’hommes aux fins de faire reconnaître la rupture abusive du contrat de travail par sa nouvelle recrue et solliciter des dommages et intérêts.

    Le Conseil de Prud'hommes faisait droit à cette demande et condamnait le salarié à verser à son futur ex-employeur la somme de 2.272 € à titre de dommages et intérêts.

    Cette décision est confirmée en appel.

    Pour entériner cette solution, la cour d’appel s’émancipe du droit du travail stricto sensu et se fonde sur l’article 1113 du Code Civil. Selon ce texte : « le contrat est formé par la rencontre d’une offre et d’une acceptation par lesquelles les parties manifestent leur volonté de s’engager ».

    Ainsi selon la cour d’appel, le contrat de travail était régulièrement formé, peu important qu’il n’ait pas reçu de commencement d’exécution, et d’en déduire que « Monsieur X n’étant pas entré en fonctions à la date indiquée, la rupture du contrat qui s’était formé par son acceptation, lui est imputable, sans motif légitime, ce qui ouvre droit pour son employeur au versement de dommages et intérêts ».

    Me Manuel Dambrin

     

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  • Le témoin contraint au silenceIl est fréquent, pour ne pas dire systématique, que dans la transaction par laquelle un employeur et un salarié mettent fin à un litige prud’homal né ou à naitre, il soit prévu une clause par laquelle le salarié s’interdit d’apporter un témoignage à l’encontre de son ancien employeur, notamment en faveur d’un autre salarié qui se trouverait à son tour en litige.

    La valeur d’une telle clause pose de sérieuses difficultés dans la mesure où elle constitue une atteinte à la liberté d’expression ainsi qu’à la liberté fondamentale de témoigner, protégées par les articles 6 et 10 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

    Cette interdiction de témoigner est également de nature à tenir en échec l’article 10 du Code civil suivant lequel « chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité ».

    C’est pourquoi, en pratique, de telles clauses ont une vertu essentiellement dissuasive auprès des salariés qui la souscrivent car l’employeur sera généralement dans l’incapacité d’en faire sanctionner la violation.

    C’est ce qu’illustrent les motifs de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 5 juillet 2018 :

    « Aux termes de l’article 10 du code civil, chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité et celui qui, sans motif légitime, se soustrait à cette obligation lorsqu’il en a été légalement requis peut-être contraint d’y satisfaire, au besoin à peine d’astreinte ou d’amende civile, sans préjudice des dommages et intérêts. 

    En l’espèce, la cour estime que l’existence de la clause contenue dans la transaction signée avec la société CROWN EUROPE GROUP SERVICES, aux termes de laquelle Madame Y s’engageait à ne pas établir de témoignages à son encontre, ne constitue pas un motif légitime de refus de témoigner sur des faits argués de manquements à l’obligation de sécurité et de discrimination.

    La protection de la sécurité et de la santé au travail, ainsi que l’interdiction de comportements discriminatoires, présentent, en effet un caractère de nécessité d’une valeur supérieure à la protection des intérêts privés de l’entreprise » (Pôle 6 - chambre 5, n° 16/08500).

    Me Manuel Dambrin

     

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  • Le barème Macron ou l'histoire sans finLe fameux barème Macron, codifié sous l’article L.1235-3 du Code du Travail et qui consiste à plafonner les indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse susceptibles d’être allouées par le juge, n’en finit pas d’agiter les prétoires.

    Alors que ce texte a été tour à tour jugé conforme à la Constitution ainsi qu’aux textes internationaux, par les plus hautes juridictions (Conseil d’Etat et Cour de Cassation) cela n’empêche pas certaines cours d’appel, tout en reconnaissant la validité du dispositif, d’écarter son application au cas par cas en fonction des circonstances de chaque espèce, dans le cadre d’un contrôle dit « in concreto » (par apposition au contrôle « in abstracto ») lorsqu’elles estiment que la stricte application du barème ne permet pas de satisfaire au principe dit de la réparation intégrale du préjudice (cf. par exemple : CA Reims 25-9-2019 n° 19/00003 ; CA Grenoble 2-6-2020 n° 17/04929 : RJS 8-9/20 n° 411).

    Il ne fallait pas en attendre moins de la part du juge qui voit en horreur les normes venant limiter son pouvoir d’appréciation.

    La Cour d’appel de Paris a, à son tour, franchi le Rubicon.

    Dans son arrêt du 16 mars 2021 (n° 19/08721), elle accorde à une salariée dont le licenciement économique a été déclaré sans cause réelle et sérieuse, une indemnité d’un montant supérieur au plafond prévu par l’article L.1235-3 du Code du Travail.

    La salariée ayant moins de 4 ans d’ancienneté au moment de son licenciement, elle ne pouvait prétendre, aux termes du barème, qu’à une indemnité d’un montant compris entre 3 et 4 mois de salaire brut (avant l’entrée en vigueur du barème, son indemnisation n’aurait pas pu être inférieure à 6 mois de salaire).

    Les juges ont estimé ce montant insuffisant à lui assurer une indemnisation adéquate et appropriée compte tenu de sa « situation concrète et particulière », de son âge (53 ans à la date de la rupture), de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi au vu de sa formation et de son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement, tels qu'ils résultaient des pièces et des explications fournies.

    Ils lui allouent donc une indemnité représentant un peu plus de 7 mois de salaire.

    Me Manuel Dambrin

     

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  • Pas de sanction sans règlement intérieurEn vertu de l'article L.1311-2 du code du travail "l'établissement d'un règlement intérieur est obligatoire dans les entreprises ou établissements employant au moins 50 salariés" (antérieurement à la loi n°2019-486 du 22 mai 2019, ce seuil était fixé à 20 salariés).

    Selon la Cour de cassation, il résulte de ce texte, que dans les entreprises d'au moins 50 salariés dans lesquels la mise en place d'un règlement intérieur est donc obligatoire, une sanction (autre qu'un licenciement) ne peut être prononcée contre un salarié que si elle est prévue par le règlement intérieur qu'il prescrit et donc a fortiori que si un règlement intérieur a été mis en place.

    Autrement dit, toute sanction prononcée sans être prévue par le règlement intérieur ou sans qu'il existe au sein de l'entreprise un règlement intérieur, peut faire l'objet d'une demande d'annulation devant le Conseil de prud'hommes et ne pourra, par voie de conséquence, venir alimenter un dossier disciplinaire.

    Ces règles ne sont pas nouvelles mais, par son récent arrêt du 6 janvier 2021 (n°19-14.440), la Cour de cassation enfonce le clou en précisant qu'en cas de litige sur l'effectif de l'entreprise (conditionnant l'obligation de mettre en place un règlement intérieur et donc la validité de la sanction prononcée), c'est à l'employeur de faire la preuve que l'effectif de l'entreprise était, au jour du prononcé de la sanction, inférieur au seuil prévu par l'article L.1311-2 précité.

    Dans l'affaire qui a donné lieu à cette décision, le salarié sollicitait l'annulation d'une mise à pied disciplinaire et de deux avertissements et avait été débouté par la Cour d'appel au motif qu' "il n'était pas démontré que l'effectif de l'entreprise était [...] supérieur à 20 salariés [seuil applicable au moment des faits]".

    La Cour de cassation censure donc cette décision en posant qu' "en statuant ainsi, la Cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le salarié, a violé le texte susvisé".

    Il appartiendra à la Cour de renvoi (Cour d'appel devant laquelle l'affaire sera réexaminée à la suite de cette cassation) de déterminer si l'employeur rapporte des éléments de preuves suffisants démontrant que le seuil requis pour établir un règlement intérieur n'était pas atteint et si par conséquent, les sanctions étaient régulières. A défaut, les sanctions seront annulées.

    Me Manuel Dambrin

     

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  • Dénonciation cibléeSelon l’article L. 121-6 du code de la route, lorsqu’un véhicule immatriculé au nom d’une société a été flashé par un radar, le représentant légal de cette société doit indiquer, dans les quarante-cinq jours suivant l’avis de contravention, l’identité et l’adresse de la personne physique qui conduisait ce véhicule (à moins d’établir l’existence d’un vol, d’une usurpation de plaque d’immatriculation ou de tout autre événement de force majeure). Le fait de contrevenir à cette obligation étant puni d’une contravention de quatrième classe.

    La Cour de cassation rappelle, dans son arrêt du 16 mars 2021 (Chambre criminelle, n° 20-83.911), l’interprétation stricte de cette disposition.

    Dans l’affaire qui a donné lieu à cette décision, le dirigeant de l’entreprise avait reçu un avis de contravention pour l’un de ses véhicules qui avait été contrôlé en excès de vitesse.

    Celui-ci avait alors communiqué à l’officier du ministère public, non pas l’identité du conducteur, mais l’identité de trois conducteurs potentiels.

    La Cour d’appel considérait que l’obligation posée par l’article L. 121-6 du code de la route était satisfaite et relaxait en conséquence la société des poursuites prévues en cas de non-divulgation de l’identité du conducteur.

    Mais la Cour de cassation censure cette décision au motif que la cour d’appel a fait une fausse application de la loi et méconnu le sens et la portée du texte susvisé. Pour la Cour suprême, la dénonciation doit permettre d’identifier le conducteur : « la personne morale poursuivie sur le fondement de l’article L. 121-6 du Code de la route ne peut s’exonérer de sa responsabilité pénale en désignant trois conducteurs comme également susceptibles d’avoir commis l’infraction initiale ».

    Me Manuel Dambrin

     

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  • Télétravail obligatoire ?Le niveau toujours élevé de la circulation du SARS-COV-2 a conduit le gouvernement à renforcer les mesures sanitaires, parmi lesquelles le recours au télétravail de tous les salariés pouvant accomplir leurs tâches à distance. 

    Le protocole national pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l’épidémie de COVID-19 du 31 aout 2020 a été mis à jour et rappelle que "Le télétravail est un mode d’organisation de l’entreprise qui participe activement à la démarche de prévention du risque d’infection au SARS-COV-2 en permettant de limiter les interactions sociales aux abords des lieux de travail et sur les trajets domicile travail […]". 

    Dans ce cadre, le ministère du travail a demandé aux inspecteurs du travail d’augmenter le nombre des contrôles au sein des entreprises pour vérifier, au cas par cas, le respect des consignes.

    Sans pouvoir obliger les entreprises à généraliser le télétravail, il peut leur être demandé de justifier objectivement qu’une tâche n’est pas « télétravaillable ». La référence au code du travail qui est insérée dans le protocole n’est pas anodine et rappelle aux employeurs qu’ils sont tenus par leur obligation de sécurité (c. trav. art. L. 4121-1).

    L’ensemble des autres mesures sanitaires sont également susceptibles d’être vérifiées et sanctionnées. Son contenu est téléchargeable ici :

    https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/protocole-national-sante-securite-en-entreprise.pdf

    Me Manuel Dambrin

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  • Harcèlement moral : l'auteur présumé n'a pas à être entendu ni même informéLorsqu’il est destinataire d’un signalement de harcèlement moral, l’employeur se doit de diligenter une enquête ; c’est le sens de l’accord national interprofessionnel (ANI) du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail qui indique que « les plaintes doivent être suivies d’enquête et traitées sans retard ».

    Cependant, ni ce texte ni le code du travail ne définit les conditions d’exécution de l’enquête et en particulier les modalités selon lesquelles les protagonistes peuvent/doivent être entendus.

    Dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt rendu par la Cour de cassation du 17 mars 2021 (n° 18-25597), un employeur avait été alerté par les représentants du personnel de faits de harcèlement moral commis par une salariée.

    Avec l’accord des représentants du personnel, l’employeur avait judicieusement mandaté un organisme extérieur spécialisé en risques psychosociaux pour réaliser une enquête, pour ne pas se retrouver dans une position de « juge et partie » (l’employeur étant in fine responsable des agissements de harcèlement moral commis au sein de l’entreprise, il n’a guère intérêt, lorsque ces faits sont consommés, à ce qu’il soient qualifié de tel).

    Après des entretiens menés avec les collaborateurs il ressortait du rapport d’enquête que la salariée avait proféré des insultes racistes et à caractère discriminatoire et avait causé des perturbations graves.

    Sur la base de ce rapport d’enquête, l’employeur a licencié la salariée pour faute grave.

    La salariée contestait son licenciement en soutenant que le rapport d’enquête constituait une preuve irrecevable dans la mesure où elle n’avait pas été préalablement informée de la mise en œuvre de cette enquête et n’avait pas eu la possibilité d'apporter une quelconque contradiction, faute d'avoir elle-même été entendue ou auditionnée.

    La cour d’appel fait droit à cette demande et invalide le licenciement. Pour ce faire, les juges s’appuient sur l’article L.1222-4 du code du travail, selon lequel « aucune information concernant personnellement un salarié ne peut être collectée par un dispositif qui n'a pas été porté préalablement à sa connaissance ».

    Mais cette décision est censurée par la Cour de cassation, qui décide « qu’une enquête effectuée au sein d’une entreprise à la suite de la dénonciation de faits de harcèlement moral n’est pas soumise aux dispositions de l’article L. 1222-4 du code du travail et ne constitue pas une preuve déloyale comme issue d’un procédé clandestin de surveillance de l’activité du salarié ».

    Bien évidemment, cette solution ne dispense pas l’employeur de convoquer le salarié à un entretien préalable, au cours duquel il pourra faire valoir ses explications, dans le cadre de la procédure de licenciement proprement dite.

    Me Manuel Dambrin

     

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