• Par un arrêt récent rendu le 10 février 2015 (Cass, Com., 10 février 2015, n°13-14.779) la Cour de cassation poursuit une fois encore son œuvre de bornage de la sphère privée du salarié, s’agissant de la correspondance personnelle que celui-ci entretient pendant ses horaires de travail, au moyen du matériel mis à sa disposition par l’employeur.

     

    L’arrêt fondateur en la matière est le désormais célèbre arrêt « Nikon » (Cass, Soc., 2 octobre 2001, n°99-42.942), qui au visa de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH), avait affirmé le droit du salarié au respect de sa vie privée même au temps et au lieu de travail. La haute juridiction en avait déduit que « l’employeur ne pouvait ainsi pas prendre connaissance de messages électroniques du salarié identifiés comme « personnels », envoyés ou reçus grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l’employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l’ordinateur. »

     

    A contrario, la Cour de cassation avait jugé plus récemment que « les courriels adressés et reçus par le salarié à l'aide de l'outil informatique mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel en sorte que l'employeur est en droit de les ouvrir hors la présence de l'intéressé, sauf si le salarié les identifie comme personnels »  (Cass, Soc., 16 mai 2013, n°12-11.866 ; Cass, Soc., 19 juin 2013, n°12-12.138).

     

    surveillance

     

    L’arrêt du 10 février 2015 développe plus avant cette jurisprudence en l’étendant aux SMS envoyés ou reçus au moyen d’un téléphone portable mis à la disposition du salarié  par son employeur pour les besoins de son activité professionnelle.                    

     

    En l’espèce, une société de courtage, soupçonnant l’un de ses concurrents de débaucher massivement ses salariés, a fait procéder, en vue d’une action en justice pour concurrence déloyale, à un constat d’huissier sur les outils de communication mis à disposition de ses anciens salariés, dont le contenu était resté automatiquement enregistré sur ses serveurs informatiques conformément à la règlementation de l’Autorité des Marchés Financiers.

     

    La société concurrente contestait ce procédé, au motif que les SMS, contrairement aux courriels, ne contiennent pas de champ « objet », et ne peuvent donc pas être identifiés comme personnels, de sorte que ce critère n’était pas de nature à protéger le droit à la vie privée des salariés.

     

    La Cour de cassation rejette cet argumentaire, et, raisonnant par analogie en reprenant sa formule classique en matière de courriels, qu’elle adapte à l’hypothèse des SMS, retient que « les SMS envoyés ou reçus par le salarié au moyen du téléphone mis à sa disposition par l'employeur pour les besoins de son travail sont présumés avoir un caractère professionnel, en sorte que l'employeur est en droit de les consulter en dehors de la présence de l'intéressé, sauf s'ils sont identifiés comme étant personnels. »

     

    On ne peut donc que conseiller aux salariés qui souhaiteraient échanger des messages personnels au moyen de leur téléphone professionnel, d’y faire clairement figurer la mention « personnel », même si une telle précaution peut être contraignante s’agissant de messages courts ou anodins.

     

    La meilleure solution reste encore dans tous les cas, de réserver sa correspondance privée à son téléphone personnel.

    Me Manuel Dambrin et Monsieur Hugo Tanguy (élève-avocat)

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  • « Toutes les actions dérivant d’un contrat d’assurance sont prescrites par deux ans à compter de l’évènement qui y donne naissance ». Cette disposition de l’article L114-1 du Code des assurances, souvent méconnue des assurés, peut parfois se révéler pour eux lourdes de conséquences.

     

    Pour résumer simplement, si l’assureur n’a pas versé l’indemnité dans le délai de deux ans suivant la date du sinistre, l’assuré ne pourra en principe plus s’en prévaloir et en réclamer le paiement en justice.

     

    Nombreux sont ceux qui se laissent piéger par ces subtilités procédurales, les compagnies d’assurances cherchant souvent à retarder au maximum le moment du versement de l’indemnité, dans l’espoir de voir la prescription acquise et ainsi se décharger en toute légalité de leurs obligations contractuelles.

     

    assurances

     

    Toutefois, il existe un tempérament à ce principe, exposé à l’article L114-2 du code précité, qui prévoit que cette prescription peut être interrompue, notamment, par « l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception adressée par l’assuré à l’assureur en ce qui concerne le règlement de l’indemnité ».

     

    En droit, l’interruption de la prescription permet de réinitialiser la course du délai de prescription, c’est-à-dire, dans l’hypothèse qui nous concerne, permettre le redémarrage du délai de deux ans.

     

    Toutefois, la jurisprudence de la Cour de cassation est assez restrictive et impose un contenu spécifique à cette lettre recommandée pour pouvoir la considérer comme une cause d’interruption de la prescription.

     

    Ainsi, pour la haute juridiction, les juges du fond ne peuvent simplement se contenter de constater l’existence d’un courrier recommandé adressé par l’assuré à l’assureur, sans « analyser les termes de cette lettre » pour s’assurer qu’elle concerne bien le règlement de l’indemnité, au sens de l’article L114-2. (Cass., 3e civ., 14 mars 2012, n°11-11.313)

     

    Que doit donc comporter cette lettre recommandée pour que la prescription soit à coup sûr interrompue ?

     

    La jurisprudence est claire à ce sujet et exige que celle-ci « réclame à l’assureur l’exécution de sa garantie au titre des conséquences du sinistre », en un mot : le paiement de l’indemnité réparatrice du dommage subi. (Cass., 3e civ., 17 juin 2009, n°08-14.104)

    Les juges du fond apprécieront strictement cette condition, et rechercheront si la lettre recommandée « demande clairement le règlement de l’indemnité ». (CA Paris, 4 juin 2014, n°10/10232)

     

    A l’inverse, une lettre recommandée qui se contenterait par exemple de réclamer à l’assureur la communication de documents en vue d’une analyse préalable à une possible action future, ne saurait interrompre la prescription. (Cass., 2e civ., 9 février 2012, n°10-20.357)

     

    Il est donc recommandé à l’assuré, lorsque la compagnie d’assurances tarde à verser l’indemnité contractuellement due, de lui adresser régulièrement une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception, réclamant très clairement le paiement de l’indemnité, même si celle-ci n’est pas suivie d’effet, afin, à tout le moins, de ne pas fermer la porte à une éventuelle procédure judicaire.

     

    Me Xavier Chabeuf et Monsieur Hugo Tanguy (élève avocat)

     

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  • « Nul n’est censé ignorer la loi ». Cet adage bien connu ne se vérifie pas toujours en matière pénale, puisque l’article 122-3 du Code pénal prévoit, en théorie, l’irresponsabilité du prévenu qui a cru, par une erreur sur le droit qu'il n'était pas en mesure d'éviter, pouvoir légitimement accomplir l'acte pour lequel il est poursuivi.

     

    Il reste que cette disposition légale est rarement mise en œuvre et en tous cas de manière très restrictive, afin de garantir la prévisibilité de la loi pénale.

     

    C’est ainsi dans le sens d’une interprétation stricte de la loi qu’a dernièrement jugé la chambre criminelle de la Cour de cassation, à la croisée des chemins entre le droit pénal et le droit du travail, en matière de travail dissimulé. (Cass. crim., 20 janvier 2015, n° 14-80.532)

     

    travail dissimulé

    L’employeur, une société allemande implantée en France, avait pour habitude de ne déclarer ses salariés aux organismes de protection sociale qu’après leur embauche, à l’issue de leur période d’essai.

     

    Cette pratique ayant été révélée par un contrôle des services de la direction départementale du travail, le chef d’entreprise a été renvoyé devant la juridiction correctionnelle pour le délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité.

     

    Pour confirmer le jugement le condamnant pour ce délit, la Cour d’appel a retenu que la situation constatée par les contrôleurs du travail n’était pas le fruit du hasard, et résultait bien d’une volonté du chef d’entreprise de tester les salariés à moindre coût.

     

    L’employeur, pour sa part, reprochait à la Cour d’appel de n’avoir pas recherché si cette omission n’était pas due à l’idée erronée d’une identité entre les législations française et allemande relatives à l’embauche des salariés, qui l’aurait conduit à omettre légitimement les formalités requises et exclurait sa responsabilité pénale.

     

    Cette argumentation a été rejetée par la Cour de cassation, qui a retenu

     

    « qu’en se prononçant ainsi, et dès lors que le prévenu, dont l’entreprise est implantée de longue date en France et qui pouvait solliciter l’avis de l’inspection du travail sur l’étendue de ses obligations en matière d’embauche de salariés, ne saurait invoquer utilement la cause d’irresponsabilité prévue par l’article 122-3 du code pénal (…), la Cour d’appel a justifié sa décision ».

     

    La haute juridiction a donc réaffirmé le caractère inexcusable de l’ignorance par l’employeur de la législation du travail et, notamment en matière d’embauche, a rappelé le rôle de conseil et d’accompagnement que peut exercer l’inspection du travail pour les employeurs.

    Hugo Tanguy, élève-avocat

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  • Faudra-t-il désormais que la lettre de convocation à l’entretien préalable au licenciement soit motivée pour que le licenciement subséquent n’encourt pas la nullité ?

     

    C’est à cette question que devra prochainement répondre la Cour de Cassation qui est actuellement saisie du pourvoi d’un employeur dirigé contre un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 7 mai 2014 qui, de façon totalement inédite et contraire à l’état actuel du droit, a annulé le licenciement d’une salariée au motif que l’intéressée n’avait pas été informée, dès le stade de la convocation à son entretien préalable, des faits qui lui étaient reprochés et sur lesquels allait porter cet entretien, la Cour d’appel considérant qu’en procédant ainsi l’employeur n’avait pas mis l’intéressée en mesure de préparer sa défense.

     

    Rappelons que si, en vertu de l’article L.1232-6 du code du travail la lettre de licenciement doit bien évidemment être motivée pour fixer les limites d’un éventuel débat judiciaire ultérieur sur le bien-fondé du licenciement, tel n’est pas le cas de la lettre de convocation à l’entretien préalable qui, selon l’article L.1232-2 du code du travail doit seulement mentionner « l’objet de la convocation » à savoir l’entretien lui-même, ce dont la jurisprudence a toujours déduit que les griefs allégués à l’encontre du salarié n’ont pas à figurer dans cette lettre de convocation mais seulement à être débattus lors de l’entretien.

     

    entretien préalable

     

     

    Si la solution retenue par la Cour de Paris est à contre-courant et contribuerait sans doute, si elle était admise, à rigidifier la procédure de licenciement, elle n’est pas dénuée d’une certaine logique et peut se recommander d’une certaine exigence de loyauté.

     

    En effet, l’objectif de l’entretien préalable est de permettre un dialogue entre l’employeur et le salarié concernant le projet de licenciement, pour que l’employeur puisse prendre une décision la plus éclairée possible, voire se ravise ou prononce une sanction moindre que le licenciement, en fonction des explications fournies par le salarié lors de l’entretien.

     

    Si cet objectif reste souvent théorique dès lors que la décision de licenciement est bien souvent prise en amont, il est permis de penser que le rôle assigné à l’entretien préalable serait d’autant mieux rempli que le salarié auraIT été prévenu des faits sur lesquels il devra s’expliquer et auraIT ainsi été à même de réunir des éléments pour sa défense.

     

    C’est en substance le sens de la décision rendue par la Cour d’appel qui a énoncé, dans un attendu général que : « […] l'entretien préalable constituant la seule étape de la procédure pendant laquelle le salarié a, légalement, le droit de s'expliquer sur les faits qui lui sont reprochés, avec l'aide d'un défenseur, le respect des droits de la défense implique effectivement, que celle-ci puisse être préparée, dans la perspective de l'entretien préalable en connaissance de cause, c'est-à-dire en connaissant, non seulement la sanction que l'employeur envisage de prendre, mais surtout les reproches que l'employeur s'apprête à articuler à l'encontre de son salarié […] ».

     

    Il reste maintenant à la Cour de Cassation à trancher cette question et aux employeurs prudents à motiver les lettres de convocation à l’entretien préalable pour anticiper une éventuelle évolution jurisprudentielle qui pourrait être lourde de conséquence.

     

     Me Manuel Dambrin

     

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  • Le taux de l’intérêt légal répare le préjudice subi par le créancier d’une somme d’argent en raison du retard de paiement de son débiteur.

    Tout particulier ou toute entreprise, peut donc, un jour, être concerné par son application.

    L’article 1153 du Code Civil en prévoit la mise en œuvre générale :

    « Dans les obligations qui se bornent au paiement d’une certaine somme, les dommages-intérêts résultant du retard dans l’exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts au taux légal, sauf les règles particulières au commerce et au cautionnement ».

    Que l’on soit donc le créancier réclamant le remboursement ou le débiteur à court d’argent, le taux d’intérêt légal trouve application dans de nombreuses situations relevant du droit bancaire (on pense évidemment au crédit), fiscal, familial (retard de paiement d’une pension alimentaire), etc.

    Or, cela fait déjà deux années que le taux de l’intérêt légal ne dépasse pas, en France, le très faible taux de 0,04%.

    Un chiffre tellement bas qu’il en perd toute signification. Non seulement la menace pesant sur le débiteur semble si faible qu’il ne l’incite pas à payer, mais l’on pourrait même trouver intérêt à procéder à des placements financiers plutôt que de rembourser ses dettes. Une situation très éloignée de son utilité première…

     C’est à cet état de fait paradoxal que l’ordonnance n° 2014-947 du 20 août 2014 a entendu mettre un terme.

    1.      Le taux de l’intérêt légal : mode de calcul et évolution

    Le taux appliqué jusqu'à la fin de l'année 2014 était unique et était fixé une fois par an et pour toute l’année civile:  

    « Le taux de l’intérêt légal est, en toute matière, fixé par décret pour la durée de l’année civile.

    Il est égal, pour l’année considérée, à la moyenne arithmétique des douze dernières moyennes mensuelles des taux de rendement actuariel des adjudications de bons du Trésor à taux fixe à treize semaines » (article L. 313-2 du Code monétaire et financier).

    A côté de ce taux simple, l’article L. 313-3 du Code monétaire et financier prévoyait un taux majoré de 5 points, appliqué pour les intérêts courants en cas de condamnation judiciaire d’un débiteur « à l’expiration d’un délai de deux mois ».

    Or, ces 25 dernières années, ce taux n’a jamais cessé de baisser, jusqu’à atteindre, pour l’année 2013 et 2014, le chiffre dérisoire de 0,04%.

     

    Année

    Taux d'inflation (en %)

    Taux d'intérêt légal (en   %)

    Différentiel

    1991

    3,2

    10,26

    7,06

    1992

    2,4

    9,69

    7,29

    1993

    2,1

    10,4

    8,3

    1994

    1,6

    8,4

    6,8

    1995

    1,8

    5,82

    4,02

    1996

    2

    6,64

    4,64

    1997

    1,2

    3,87

    2,67

    1998

    0,7

    3,36

    2,66

    1999

    0,5

    3,47

    2,97

    2000

    1,7

    2,74

    1,04

    2001

    1,7

    4,26

    2,56

    2002

    1,9

    4,26

    2,36

    2003

    2,1

    3,29

    1,19

    2004

    2,1

    2,27

    0,17

    2005

    1,8

    2,05

    0,25

    2006

    1,6

    2,11

    0,51

    2007

    1,5

    2,95

    1,45

    2008

    2,8

    3,99

    1,19

    2009

    0,1

    3,79

    3,69

    2010

    1,5

    0,65

    -0,85

    2011

    2,1

    0,38

    -1,72

    2012

    2

    0,71

    -1,29

    2013

    0,9

    0,04

    -0,86

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Il résulte même de l’évolution comparée du taux de l’intérêt légal et du taux d’inflation un différentiel négatif qui souligne de façon claire le problème : pourquoi rembourser quand le temps devient notre allié ?

    En tout état de cause, le taux de l’intérêt légal ne remplissait pas son rôle. De l’aveu même du rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2014-947 du 20 août 2014 : «Le calcul, fondé sur le taux de financement de l'Etat à treize semaines, a conduit à une baisse très forte de son niveau dans un contexte où les taux sans risque de court terme sont pratiquement nuls ».

    2.      Les solutions proposées par l’ordonnance de 2014 :

    Premier changement voulu par l’ordonnance : une distinction du taux d’intérêt légal selon la catégorie du créancier. Il n’y a donc plus un, mais deux taux :

    -          Un taux applicable aux créances des particuliers (personnes physiques n'agissant pas pour des besoins professionnels). Il a été fixé à 4,06 % pour le premier semestre 2015, taux maintenant significatif et de nature à inciter les débiteurs à régler leurs dettes.

    -          Un autre taux applicable à tous les autres cas, c'est-à-dire principalement aux entreprises : 0,93 % (joe_20141227_0042.

    Cette nouvelle différenciation s’explique, selon le rapport, par un taux de refinancement des particuliers qui serait plus élevé que celui des autres personnes : « Ils [les particuliers] sont lésés par le niveau trop faible résultant du calcul actuel du taux d'intérêt légal » (rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance n° 2014-947 du 20 août 2014).

     Second changement, la méthode de calcul. Le taux devient semestriel et non annuel comme pratiqué auparavant, afin de mieux coller à la réalité économique.

    Le décret n° 2014-1115 du 2 octobre 2014 fixe les modalités de calcul de ces deux taux de l'intérêt légal, selon des modalités qui constituent un pur moment de poésie administrative (joe_20141004_0013).

    Il conviendra donc de prêter une attention particulière, tous les six mois, à l'évolution du taux de l'intérêt légal applicable.

    Le proverbe "qui paye ses dettes s'enrichit" reprend donc potentiellement toute sa signification.

     

    Me Xavier Chabeuf


  • La montée du fondamentalisme religieux pose l’épineuse question des conflits entre les pratiques religieuses de certains salariés et le fonctionnement normal de l’entreprise.

    Le principe est que la liberté religieuse s’applique dans les entreprises sous réserve des restrictions apportées par l’employeur dans la mesure où celles-ci sont justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondent à une exigence professionnelle essentielle et déterminante, et sont proportionnées au but recherché. Ainsi, le principe de laïcité ne peut suffire à justifier, au sein d’une entreprise privée, des restrictions aux pratiques religieuses ou à l’exhibition de signes religieux.

    Par exemple, le port d’un crucifix ne peut être interdit à une hôtesse de l’air pour des raisons tenant à l’image de marque de la compagnie, tandis que cette interdiction sera valablement opposée à une infirmière pour des considérations d’hygiène et de sécurité.

    Il faut réserver cependant le cas des entreprises dites « de tendance » dans lesquels les contraintes imposées aux salariés peuvent être plus larges que dans une entreprise ordinaire : quand l’entreprise prône une religion (une école catholique ou une association cultuelle) il a été admis qu’un salarié, engagé pour accomplir une tâche impliquant une communion de pensée et de foi avec son employeur, soit sanctionné, voire licencié, s’il méconnaît les obligations résultant de cet engagement (cass. soc. 20 novembre 1986, n° 84-43243, BC V n° 555).

     

    religion

    En outre, la liberté religieuse n’implique pas l’autorisation du prosélytisme : l’employeur peut sanctionner un salarié ayant une attitude prosélyte vis-à-vis de ses collègues ou des clients en raison de la perturbation que cette attitude entraîne sur le bon fonctionnement de l’entreprise.

    Concernant les absences liées à des fêtes religieuses, elles peuvent être prévues par le règlement intérieur mais, à défaut d’un accord ou d’une autorisation spéciale, le salarié ne peut prétendre justifier des absences ou des refus de travail par des exigences religieuses. Il pourrait en aller différemment si le salarié prévenait son employeur, au moment de son embauche, que sa confession lui interdisait d’exécuter certaines tâches ou d’effectuer certains déplacement par exemple, de sorte que l’employeur l’aurait recruté en toute connaissance de cause.

    On notera que le salarié ne peut pas arguer de sa religion pour refuser de se soumettre à une visite médicale obligatoire.

    Enfin, il conviendra de veiller, en toute hypothèse, à respecter le principe de non-discrimination en ne traitant pas différemment les demandes des salariés en fonction de leur religion.

    Me Manuel Dambrin

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  • Le harcèlement moral se caractérise par des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité, d'altérer la santé physique ou mentale ou de compromettre l’avenir professionnel d’un salarié (c. trav. art. L. 1152-1).

    La loi n’exige pas de durée pour que des comportements fautifs caractérisent un harcèlement moral. Celui-ci peut être établi même si les faits répétés se sont déroulés sur une brève période (cass. soc. 26 mai 2010, n° 08-43.152, BC V n° 111).

    Pour autant, il faut des actes répétés. Un acte isolé, même grave, ne peut donc pas suffire à caractériser des faits de harcèlement.

    C’est ce qu’a précisé la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 5 novembre 2014 (13-16.729) : licenciée pour inaptitude physique médicalement constatée par le médecin du travail, la salariée saisissait la juridiction prud'homale de diverses demandes et notamment d'une demande en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral. Au soutien de cette demande, la salariée le fait que le 3 décembre 2010 au matin Mme Y... l'avait traitée de « malade » et « tarée ».

    insulte

    La Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir jugé que « les écarts de langage de la supérieure hiérarchique de la salariée, tenus ce jour-là, ne pouvaient, en tant que fait unique, caractériser un harcèlement moral ». La demande de dommages-intérêts de la salariée a donc été rejetée.

    Me Manuel Dambrin

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  • La salariée avait quitté l’entreprise un 31 mars, soit avant le terme du premier semestre à la fin duquel devait être payée la part variable du salaire (prime d’objectif) versé semestriellement, en fonction de l’atteinte de certains objectifs.

    Considérant que l’absence de la salariée au sein de l’entreprise à la fin du semestre ne lui ouvrait pas droit à cette prime, fût-ce prorata temporis, l’employeur ne la lui a pas payée, ce qu’a contesté la salariée devant la juridiction prud’homale, puis la Cour d’appel.

    Pour débouter la salariée de sa demande, la Cour d’appel retient qu'une prime dite d'objectifs ne peut être versée prorata temporis que si une disposition contractuelle ou conventionnelle le prévoit ou qu'un usage est prouvé au sein de l'entreprise, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

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    Décision censurée par la Cour de cassation : « Qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants, alors qu'elle avait relevé que la prime litigieuse constituait la partie variable de la rémunération versée à la salariée en contrepartie de son activité de sorte qu'elle s'acquérait au prorata du temps de présence de la salariée dans l'entreprise au cours de l'exercice, la cour d'appel a violé le texte susvisé » (Cass. soc. 5 novembre 2014, n° 13-20131).

    Autrement dit, l’employeur ne peut subordonner le versement d’une prime ou d’une rémunération variable liée au travail à la présence du salarié dans l’entreprise à la date à laquelle cette prime ou cette rémunération est normalement versée. Il doit, en cas de départ du salarié avant cette échéance (licenciement, démission,…), verser la prime ou la rémunération variable prorata temporis.

    Signalons qu’il en va différemment d’une prime calculée en fonction du temps de présence du salarié dans l’entreprise ; le droit à cette prime prorata temporis ne se présume pas et doit être prévu par un accord ou un usage (Cass. soc. 28 mai 2003, n° 01-40591, BC V n° 179).

    Me Manuel Dambrin

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  • La règle est simple et bien établie : tous les échanges entre avocats sont couverts par le secret professionnel, sans qu’il soit nécessaire de spécifier sur la correspondance que celle-ci est confidentielle.

    La confidentialité des échanges entre avocats est essentielle à la défense efficace des justiciables et à la vie de la cité, tant des particuliers que des entreprises.

    Consubstantielle à la profession d’avocat, elle existait déjà sous l’Ancien régime et témoigne de la relation de confiance qui doit exister entre avocats au service des clients.

    Cette confidentialité signifie que les lettres échangées entre avocats ne peuvent pas être produites en justice et ne peuvent pas être utilisées comme moyens de preuve. Il en va ainsi aussi bien dans le domaine civil qu’en matière pénale.

    Autre conséquence du principe de confidentialité : les clients ne peuvent réclamer à leur avocat la restitution de la correspondance échangée avec son confrère adverse durant la procédure.

    La règle vaut aussi bien dans le domaine du conseil que dans celui du contentieux, et s’applique toutes les formes d’échanges, quel que soit le support (papier, télécopie, voie électronique, …).

     

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    Par exception, les correspondances entre avocats peuvent être divulguées si l’expéditeur à expressément souhaité leur conférer un caractère officiel en portant la mention « OFFICIELLE » clairement et distinctement en en-tête du courrier, et dans le titre de l’email s’il s’agit d’un échange d’emails.

    Les pièces jointes à un tel courrier ont un statut identique, et se retrouvent « déconfidentialisées » du même coup.

    Il est donc possible de les utiliser dans le cadre d’une procédure judiciaire en étant en mesure d’en donner l’origine, sans être accusé de se les être procurées hors les voies légales.

     

    Cette solution pourtant connue vient d’être rappelée sans équivoque dans un arrêt de la Cour de cassation en date du 15 octobre 2014  (arrêt du 15_10_14) dans lequel la Cour suprême a censuré le Cour d’appel de Chambéry qui avait refusé d’écarter des débats des pièces produites à l’appui d’un message entre avocats non pourvu de la mention « officiel ».

    La Cour d’appel avait examiné les différents messages échangés pour rechercher s’ils contenaient des informations confidentielles justifiant qu’ils bénéficient de la protection du secret professionnel.

    Elle avait alors considéré que l’un des messages répondait à ces critères et méritait d’être protégé, tandis que d’autres relatifs à la transmission de l’assignation, au déroulement de la procédure et aux coordonnées d’un avocat intervenant n’étaient pas couverts par le secret professionnel.

    Or il n’y a pas lieu d’établir de distinction entre les différents messages : tous les messages nantis de la mention « officiel » peuvent être divulgués et communiqués, et aucun de ceux dépourvus de cette mention ne peut l’être.

    Ils demeurent dans le huis-clos de la relation entre confrères, dans une pénombre propice à la conclusion des accords et à la résolution des différends.

    Soulignons que seule la communication entre avocats bénéficie de la confidentialité des échanges et que ne sont pas protégées, par exemple, les correspondances entre une personne et l’avocat de la partie adverse, avec un notaire, un huissier de justice, ou encore un expert-comptable, …

    Donc gare aux échanges entre parties, précontentieux, sans passer par l’intermédiaire d'un avocat : ils ne bénéficient d’aucune protection et sont susceptibles d’être utilisés contre leur expéditeur dans le cadre d’une procédure contentieuse !

    Me Xavier Chabeuf

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  • Le 16 juillet 2014, Monsieur Lacabarats, Président de chambre à la Cour de cassation, a remis à la Chancellerie un rapport intitulé « L'avenir des juridictions du travail : Vers un tribunal prud’homal du XXIème siècle » contenant 45 propositions. Il s’agit en somme de moderniser cette institution qui fait figure de curiosité en Europe, et d’en simplifier le fonctionnement.

    Rappelons ici que le Conseil de prud'hommes est une juridiction de l'ordre judiciaire qui tranche, en première instance, tous différends individuels pouvant s'élever à l'occasion de l’exécution ou de la rupture de tout contrat de travail. Il est composé de juges non professionnels, élus pour cinq ans, les conseillers prud'homaux, qui sont, en nombre égal, des employeurs et des salariés.

    réforme CPH

    Le constat dressé dans le rapport susvisé est assez alarmant. On apprend notamment qu’en 2013, l’État français a été condamné 66 fois pour dysfonctionnement de la justice civile (pour un montant total de plus de 1,8 millions d’euros) dont 55 fois pour des errements de la justice prud'homale, le plus souvent liés à la longueur de la procédure qui se compte en années devant certains Conseils de prud’hommes.

    Les statistiques enseignent en outre que, la même année, le taux de conciliation (phase préalable de la procédure au cours de laquelle deux conseillers prud’homaux sont censés tenter de concilier les parties pour mettre fin au litige) est très faible (5,5 % environ) et le taux d’appel très élevé (62 % environ, contre 10 à 15 % pour les autres juridictions civiles), lequel taux peut s’expliquer par l’incapacité (légitime) des conseillers prud’homaux à appréhender les problématiques de droit du travail devenue au fil du temps de plus en plus complexes (plus de 4.000 articles dans le code du travail).

    En guise de première mesure, spécialité française, le rapport entend rebaptiser les notions : on ne parlera plus de Conseil de Prud’hommes mais de « tribunal des prud’hommes », qui ne sera plus composé de Conseillers Prud’homaux mais de « juges prud’homaux ».

    Parmi les 45 propositions avancées qui peuvent être consultées ici : http://www.justice.gouv.fr/la-garde-des-sceaux-10016/pour-un-tribunal-prudhomal-du 21eme-siecle-27317.html, on se bornera ici à en souligner deux qui nous paraissent salutaires :

    La formation des conseillers prud’homaux (pardon, des juges prud’homaux) : pour remédier au déficit de formation des Conseillers Prud’homaux qui est source de la plus grande insécurité juridique pour les justiciable il est prévu que L’ENM (Ecole Nationale de la Magistrature) et l’École nationale des greffes prennent en charge la formation initiale (de quinze jours) et la formation continue.

    La déontologie : les juges prud’homaux seraient tenus par des principes déontologiques analogues à ceux des juges professionnels, et soumis à une procédure disciplinaire qui devrait calquée sur celle des juges professionnels, le Conseil supérieur de la prud’homie tenant lieu d’organe statutaire des juges prud’homaux.

    Pour le reste il faut bien reconnaitre que ce rapport ne préconise pas de grands changements, à travers des mesures cosmétiques, supplétives ou sources de complications supplémentaires… jusqu’au prochain rapport. 

    Me Manuel Dambrin

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