• En droit, le statut d’entrepreneur individuel n’est pas sans risque. Il dispose théoriquement d’un patrimoine unique et doit en conséquence répondre de ses dettes professionnelles sur son patrimoine personnel si cela devient nécessaire, par exemple lorsqu’il s’est porté caution personnelle d’un prêt contracté par son entreprise.

    Face à ce risque, le législateur a tenté de rééquilibrer la balance à travers la loi n° 2003-721 du 1er août 2003, complétée par celle n° 2008-776 du 4 août 2008 : l’entrepreneur peut notamment déclarer insaisissable sa résidence principale et certains droits immobiliers !

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    Ce dispositif encore trop méconnu mérite d’être présenté dans ses grandes lignes :

    1.      Qui peut l’effectuer ?

    Le Code de commerce mentionne « Une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante […]. » (Code de Commerce, Article L. 526-1).

    Sont donc concernés tous les entrepreneurs individuels (Co-entrepreneurs, à responsabilité limitée, etc…) exerçant une activité agricole, artisanale ou encore libérale. La liste n’est pas exhaustive mais le texte doit être interprété strictement.

     

    2.      Quels biens peuvent être inscrits ?

    L’entrepreneur individuel « peut déclarer insaisissables ses droits sur l'immeuble où est fixée sa résidence principale ainsi que sur tout bien foncier bâti ou non bâti qu'elle n'a pas affecté à son usage professionnel » (Code de commerce, Article L. 526-1).

     

    Il s’agit donc :

    a) De la résidence principale de l’entrepreneur individuel ;

    b) Mais aussi de tout bien foncier bâti ou non bâti détenu par l’entrepreneur individuel et non affecté à l’usage professionnel : l’étendue de la déclaration d’insaisissabilité peut donc être considérable.

    Lorsque le bien foncier n’est pas utilisé en totalité pour un usage professionnel, seule la partie non destinée à l’habitation pourra être protégée.

     

    3.      Les modalités de la déclaration :

     

    La déclaration est tout d’abord un acte notarié (article L. 526-2 du Code de commerce).

    Autrement, la déclaration est nulle.

    La déclaration doit impérativement :

    a)                 contenir la description détaillée de l’immeuble comme impliquant le respect des dispositions sur la publicité foncière ;

    b)                 indiquer le caractère de l’immeuble (propre, commun ou indivis) ;

    c)                  spécifier l’immatriculation professionnelle du déclarant (sauf si l’entrepreneur est encore en cours d’immatriculation).

    Elle nécessite également deux publicités :

    - Un régime uniforme de publicité immobilière avec publication au bureau des hypothèques ;

    - Un régime variable de publicité professionnelle, selon que l'entrepreneur est ou non immatriculé, avec mention au registre d’immatriculation.

     

    Puisque le régime uniforme reste la publication au bureau des hypothèques, cette date marque le point de départ de l’insaisissabilité.

     

    4.      Effets et limites de la protection

    Les effets prévus par la loi sont simples : les créanciers professionnels ne pourront pas saisir les biens mentionnés dans la déclaration d'insaisissabilité.

    Ceci étant, toutes les questions ne sont pas résolues, cette protection n’est pas sans limite :

     

    • La déclaration d’insaisissabilité n’est opposable qu’à l’égard des créanciers professionnels. Tous les créanciers ne sont donc pas sur un pied d’égalité, la déclaration est inopposable aux créanciers non professionnels.

     

    • Plus important peut-être, la protection ne joue qu’à l’égard des créanciers professionnels apparus postérieurement à la publication. Il n’est donc d’aucune utilité de faire une déclaration d’insaisissabilité pour se protéger d’une créance antérieure.

     

    • Enfin, depuis le 1er juillet 2014, dans le cas d’une procédure collective, la déclaration d’insaisissabilité faite par le débiteur est nulle si elle intervenue après la date de cessation des paiements. (Code de Commerce, Article L. 632-1).

     

    • La déclaration d’insaisissabilité n’interdit pas au créancier professionnel de faire inscrire une hypothèque sur un bien ayant fait l’objet d’une déclaration (Cour de cassation, com., 11 juin 2014, P. n° 13-13.643 : Ici). Si cette inscription d’hypothèque verra sa portée limitée par l’impossibilité de saisir le bien et de le faire vendre, elle restera cependant inscrite sur le titre et le créancier patient pourra attendre que le déclarant vende le bien protégé pour se manifester.

     

    En tout état de cause, la déclaration d’insaisissabilité devrait être mise en place par tous les entrepreneurs, commerçant, artisans ou professionnels libéraux soucieux de protéger leur habitation principale et leur famille.

    Me Xavier Chabeuf

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  • Plus de 1,5 millions. C’est, en 2014, le nombre approximatif de stagiaires en France, soit deux fois plus qu’en 2006 selon les estimations. Des chiffres qui restent difficiles à obtenir puisque les stagiaires ne sont ni recensés par le Ministère de l’enseignement, ni par l’URSSAF, ni par le registre du personnel des entreprises.

    Afin de consolider un statut juridique jugé précaire et parfois synonyme d’abus, la loi n° 2014-788 du 10 Juillet 2014 apporte un lot de changements significatifs. Sans réformer totalement le statut du stagiaire, il est sûr que certaines habitudes vont êtres bousculées !

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    Si le stage reste une « période temporaire de mise en situation en milieu professionnel », il ne doit plus être utilisé « pour exécuter une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent » (Code de l’éducation, art. L. 124-7). C’est en tout cas l’une des ambitions de cette loi.

    Que l’on soit donc stagiaire ou employeur, chacun a intérêt à prendre connaissance de ses droits. Rappel des changements à venir en cinq points :

    1.      La limitation du nombre de stagiaires, qui doit encore être fixé par décret, serait selon les derniers débats parlementaires, de 10% pour les entreprises de plus de 30 salariés et de 3 stagiaires dans les autres cas (Code de l’éducation, art. L. 124-8).

     

    2.      La limitation de la durée du stage. Réaffirmation de la loi de 2011 qui portait la durée maximale à 6 mois, sans dérogation possible. (Code de l’éducation, art. L. 124-5).

     

    3.      L’élévation de la gratification minimale. De 12,5% du plafond horaire de la sécurité sociale (soit 436,05€ mensuel) pour les stages supérieurs à deux mois, la gratification est maintenant portée à 15% (523,67€ mensuel). Ce relèvement de 87 € s’opérera cependant en deux temps, + 43,50€ en septembre 2014 puis +43,50€ en Septembre 2015 (Code de l’éducation, art. L. 612-11).

    Autre changement : la gratification est maintenant exonérée d’impôts sur le revenu sur le modèle des apprentis.

     

    4.      L’accompagnement renforcé du stagiaire. Un tuteur doit être nommé au sein de l’entreprise accueillante chargé de l’accompagnement du stagiaire. De même, un enseignant membre de l’établissement d’origine doit être référent (Code de l’éducation, art. L. 124-9 et 124-2).

     

    5.      L’amélioration du statut du stagiaire. Les règles applicables aux salariés de l’organisme d’accueil concernant les durées maximales (présence quotidienne et hebdomadaire, travail de nuit, repos, etc…) sont dorénavant applicables aux stagiaires. De même, la convention de stage doit maintenant prévoir la possibilité de congés et d’autorisations d’absences durant le stage (Code de l’éducation, art. L. 124-13, al. 2). Enfin et à titre subsidiaire, l’entreprise doit prendre en charge les frais de transport de la même façon que pour les salariés de l’entreprise.

    A nouvelles règlementations, nouvelles sanctions. Cette nouvelle loi s’accompagne de nouvelles mesures de contrôle afin d’éviter tout abus :

    • Amendes de 2.000€ (4.000€ en cas de récidives) notamment pour sanctionner la méconnaissance des points 1 et 5 ;
    • Contrôle par les inspecteurs du travail du registre unique du personnel où les noms des stagiaires doivent dorénavant être inscrits ainsi que des conditions d’accueil du stagiaire.

    La loi est entrée en vigueur le 12 juillet 2014, à l’exception des deux relèvements de la gratification minimale.

    Employeurs et stagiaires, vous voilà donc prévenus !

    Me Manuel Dambrin

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  • Nicolas Boileau s'attachait déjà, il y a plus de 300 ans, à souligner le caractère paradoxal et, pour tout dire, amoral, de la profession d'avocat :

    "Sur l'équivoque.

    Mais à quoi s'attacha ta savante malice ?

    Ce fut surtout à faire ignorer la justice.

    Dans les plus claires lois ton ambiguïté

    Répandant son adroite et fine obscurité,

    Aux yeux embarassés des juges les plus sages

    Tout sens devint douteux, tout mot eut deux visages ;

    Plus on crut pénétrer, moins on fut éclairci ;

    Le texte fut souvent par la glose obscurci :

    Et, pour comble de maux, à tes raisons frivoles

    L'éloquence prêtant l'ornement des paroles,

    Tous les jours accablé sous leur commun effort,

    Le vrai passa pour faux, et le bon droit eu tort".

     

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    Nicolas Boileau

    Satire XII, Ed. Garnier, 1952, p. 101.

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  • Un nouveau projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes a été adopté par le Parlement le 23 juillet 2014. Dans les grandes lignes, ce texte a pour objectif d’inciter les pères à prendre une partie du congé parental, de renforcer la protection des parents contre le licenciement et d’unifier les obligations de négociation collective en matière d’égalité au travail.

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    Les principales mesures sont les suivantes :

    Incitation du second parent à prendre une partie du congé parental

    Pour le premier enfant, la période actuelle de 6 mois d’allocations serait complétée d’une période supplémentaire, accordée au second parent, à condition que ce dernier prenne un congé parental total ou partiel (cette période supplémentaire sera fixée par décret et pourrait être, d’après les travaux parlementaires, de 6 mois) ; à partir du 2ème enfant, la durée du congé resterait de 3 ans à condition que 6 mois soient pris par le second parent. Dans le cas contraire, elle serait abrégée à 2 ans et demi.

    Protection du second parent contre le licenciement

    Le projet de loi interdit à l’employeur de rompre le contrat de travail d’un salarié pendant les 4 semaines suivant la naissance de son enfant, sauf s’il justifie d’une faute grave de l’intéressé ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’arrivée de l’enfant. Cet ajout au dispositif actuel tend à protéger le deuxième parent (généralement le père) contre le licenciement.

    Renforcement de l’indemnisation des personnes licenciées alors qu’elles ont été victimes pour discrimination ou de harcèlement, ou dont le licenciement a été provoqué par leur état de grossesse

    La loi nouvelle prévoit ici que le salarié qui ne demande pas la poursuite de son contrat de travail ou dont réintégration est impossible, bénéficiera d’une indemnité à la charge de l’employeur qui ne pourra être inférieure aux salaires des 12 derniers mois.

    Autorisation d’absence

    Le conjoint salarié de la femme enceinte ou la personne liée à elle par un PACS ou vivant maritalement avec pourra bénéficier d’une autorisation d’absence pour se rendre à trois des examens médicaux obligatoires maximum.

    Négociation collective sur l’égalité professionnelle

    L’employeur devra désormais négocier chaque année sur les objectifs d’égalité professionnelle et salariale entre les femmes et les hommes, ainsi que sur les mesures permettant de les atteindre, dans le cadre d’une seule et unique négociation ; à défaut, ces entreprises ne pourront pas soumissionner à un marché public, à une délégation de service public ou à un contrat de partenariat avec l’Etat ou ses établissements publics.

    Me Manuel Dambrin

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  • Fini le temps où évaluer les risques professionnels était un exercice réservé aux entreprises industrielles présentant objectivement des risques pour la sécurité des salariés (on sait par exemple que, statistiquement, des secteurs comme la construction ou les transports connaissent invariablement plusieurs dizaines de d’accidents mortels du travail par an, ce qui est moins le cas dans les entreprises du secteur informatique, financier ou des services à la personne).

    Ces dernières ne sont cependant pas dispensées de mettre en place, le fameux « Document unique d’évaluation des risques » prévu par les articles L.4111-1 et suivants du code du travail. 

    Ce document doit exister dans l’entreprise quelle que soit l’activité de celle-ci et dès le premier salarié (pas de condition d’effectif).

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    C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans une affaire qui a donné lieu à une décision du 8 juillet 2014 (n° 13-15.470). Des salariés réclamaient des dommages-intérêts à leur employeur pour absence de mise en place du document unique. Ils avaient été déboutés par le juge prud’homal au motif que l’entreprise aurait été dispensée d’élaborer un tel document « en l’absence d’indication et de précision et a fortiori à défaut de preuve sur les substances ou préparations chimiques utilisées au sein de l’entreprise ».

    Ce raisonnement est condamné par la Cour Suprême qui énonce que « l’employeur est tenu d’évaluer dans son entreprise les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs et de transcrire les résultats dans un document unique ».

    Dit autrement, l’obligation de mettre en place un document unique n’est pas subordonnée à la preuve d’un risque professionnel au sein de l’entreprise.

    En outre, indépendamment de la réalisation du risque, l’absence de document unique est un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et l’expose, devant les juridictions civiles, à une condamnation à des dommages et intérêts et, sur le plan pénal, à une amende prévue pour les contraventions de 5ème classe (c. trav. art. R. 4741-1).

    Me Manuel Dambrin

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  • Souvent perçu comme un instrument de flexibilité permettant à l’employeur de ne pas s’engager sur le long terme, le CDD – surtout lorsqu’il est conclu pour une longue durée, puisque celle-ci peut atteindre 18 mois, voire plus – peut se transformer en véritable piège pour l’employeur lorsque ce dernier souhaite rompre le contrat avant son terme.

    En effet, sauf accord du salarié, l’employeur ne peut rompre le CDD de manière anticipé que dans les hypothèses limitativement énumérées par la loi :

    -          Rupture de la période d’essai ;

    -          Faute grave ;

    -          Cas de force majeure ;

    -          Inaptitude médicalement constatée par le médecin du travail.

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    Ainsi notamment, il n’est pas possible de rompre un contrat de travail à durée déterminée avant son terme pour un motif lié à l’insuffisance professionnelle du salarié ou pour une faute ne revêtant pas un caractère de gravité suffisant (la faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien de l’intéressé dans l’entreprise et peut justifier une mise à pied conservatoire).

    La restriction ainsi apportée à la rupture du CDD peut être lourde de conséquence pour l’employeur puisque toute rupture prononcée en dehors des cas susvisés, ou jugée telle, ouvre droit pour le salarié à des dommages et intérêts d’un montant au moins égal aux rémunérations qu'il aurait perçues jusqu'au terme du contrat (art. L.1243-4 du code du travail).

    Autrement dit, la rupture avant terme d’un CDD en dehors des cas légaux peut s’avérer, dans bien des cas, nettement plus onéreuse pour l’employeur, que la rupture d’un CDI, quand bien même cette dernière serait jugée abusive…

    Le choix du type de contrat au moment de l’embauche revêt donc une importance particulière et mérite un temps de réflexion.

    Me Manuel Dambrin

     

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  • On sait à quel point le soutien bancaire est essentiel à la vie de l'entreprise et, conséquemment, à quel point son retrait est susceptible d'obérer sa survie, ou a minima d'entraver son développement.

    Pour autant, les banques sont bien évidemment libres de consentir ou non des financements bancaires, puis de les retirer.

    Il est question ici des financements bancaires à durée indéterminée (autorisation de découvert), naturellement, et non aux prêts dont le remboursement est effectué sur une période déterminée et dont l'accélération n'est possible que dans des circonstances précises prévues au contrat de prêt (notamment en cas de défaut dans le remboursement des échéances contactuelles).

    Rien ne saurait donc contraindre les banques à maintenir une autorisation de découvert à perpétuité, et il leur est loisible de réduire leur financement, voire même d'y mettre un terme.

    Les conséquences sont souvent dramatiques pour les entreprises qui doivent alors trouver à se financer différemment et qui, si elles ne le peuvent pas, n'ont pas d'autre choix que de procéder à une déclaration de cessation des paiements (de se mettre sous la protection de la loi sur les faillites, comme on dit joliment parfois).

    La banque ne saurait cependant stopper son concours financier du jour au lendemain et la Loi (article L. 313-12, alinéa 1, du Code monétaire et financier) impose le respect d'un préavis fixé à 60 jours :

    "Tout concours à durée indéterminée, autre qu'occasionnel, qu'un établissement de crédit ou une société de financement consent à une entreprise, ne peut être réduit ou interrompu que sur notification écrite et à l'expiration d'un délai de préavis fixé lors de l'octroi du concours. Ce délai ne peut, sous peine de nullité de la rupture du concours, être inférieur à soixante jours. Dans le respect des dispositions légales applicables, l'établissement de crédit ou la société de financement fournit, sur demande de l'entreprise concernée, les raisons de cette réduction ou interruption, qui ne peuvent être demandées par un tiers ni lui être communiquées".

    Ainsi, dans la situation normale, la banque :

    • est libre de mettre un terme ou de réduire son concours bancaire
    • doit cependant en aviser préalablement son débiteur
    • doit lui laisser un préavis d'au moins deux mois (mais potentiellement supérieur) avant de mettre la mesure en vigueur,
    • sur demande de l'entreprise, lui indique les raisons motivant sa décision.

    La banque n'est dispensée du respect de ce préavis qu' "en cas de comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit ou lorsque la situation de ce dernier s'avère irrémédiablement compromise" (article L. 313-12, alinéa 2, du Code monétaire et financier).

    Cependant, même dans ce cas, la banque reste astreinte à une obligation préalable d'information du bénéficiaire du crédit.

    C'est bien le moins, que la société soit informée de l'arrêt de ses facilités de paiement, et puisse organiser son dépôt de bilan si celui-ci est inéluctable, ou mette en place des solutions alternatives qui ne causent pas davantage de tort à elle-même et à ses co contractants.

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    Le rappel de cette obligation préalable d'information écrite vient d'être effectué par la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 18 mars 2014 (Arret, solution conforme à Cass. com. 22 mai 2002, P. n° 00-16.571; 19 février 1991, P. n° 89-14.825).

    Dans cette affaire, la banque finançait le solde de compte courant débiteur d'une société.

    Considérant que la situation de cette dernière était irrémédiablement compromise, la banque a interrompu son coucours financier du jour au lendemain, sans même prévenir au préalable le débiteur. Elle a immédiatement assigné en paiement la caution, laquelle a ensuite recherché sa responsabilité.

    La Cour d'appel de Douai a considéré que l'arrêt des concours en compte courant n'était pas abusif (la situation de la société était bien irrémédiablement compromise) et a rejeté toute demande d'allocation de dommages-intérêts.

    La Cour de cassation a censuré l'arrêt rendu par le juges du fond, estimant que même si la banque était dispensée de respecter un préavis avant d'interrompre son concours, elle n'en restait pas moins tenue de notifier préalablement par écrit sa décision. 

    Quelle est la sanction de l'absence d'information préalable de l'arrêt du financement adressé par la banque à l'emprunteur ?

    La banque engage sa "responsabilité pécuniaire" indique le troisième et dernier alinéa de l'article L. 313-12 du Code monétaire et financier, c'est-à-dire qu'elle devra verser des dommages-intérêts à la société, afin d'indemniser sa perte de chance de survie.

    Si la situation de la société est bien irrémédiablement compromise, le fait d'être prévenu à l'avance ne change rien à son issue inéluctable, mais permet de ménager les intérêts de ses contractants qui ont intérêt à cesser dans les meilleurs délais toutes relations avec une société vouée à la liquidation judiciaire.

    Cependant, compte tenu des délais pour obtenir la condamnation de la banque dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt du 18 mars 2014 (au moins six ans après une décision de première instance, un arrêt d'appel, un arrêt de la Cour de cassation, puis un renvoi vers une nouvelle Cour d'appel), cette réparation reste sans doute un peu théorique et faiblement dissuasive.

    Ce d'autant que si, comme c'est probable, la société a été mise en liquidation judiciaire à la suite de l'interruption des concours bancaires, la banque se retrouvera à verser une somme au mandataire liquidateur dont la seule conséquence sera de réduire le passif dû, pour partie, à la banque elle-même ! Il s'agira alors de jeux d'écritures, la créance, sans doute irrécouvrable, de la banque étant alors réduite.

    La banque subira d'autant moins les conséquences de son défaut d'information qu'elle aura, comme c'était le cas dans l'arrêt ici examiné et comme àa l'est souvent, exigé des dirigeants personnes physiques qu'ils soient cautions personnelles du financement accordé.

    Faible, tardive, laborieuse : telle sont les caractéristiques de la sanction pécuniaire prononcée par le juge.

    Les banquiers peuvent dormir tranquille.

    Me Xavier Chabeuf

     

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  • Par la convention de forfait annuel en jours l’employeur et le salarié peuvent décider de se soustraire à la législation sur les 35 heures en convenant d’un nombre de jours de travail sur l’année (218 jours au maximum) moyennant une rémunération forfaitaire incluant le salaire habituel et les heures supplémentaires.

    Très prisées des employeurs, qui les voient comme un moyen d’échapper au paiement des heures supplémentaires et au contrôle de la durée du travail, ces conventions sont cependant soumises à des conditions de validités très strictes (et rarement respectées en totalité), dont la méconnaissance anéantit tout le bénéfice que l’employeur espérait en retirer puisque le salarié pourra alors prétendre avoir été soumis de tout temps au régime des 35 heures hebdomadaires et solliciter en conséquence un rappel d’heures supplémentaires généralement significatif.

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    Pour être valable, une convention de forfait en jours doit :

    -      être prévue par un accord collectif d’entreprise ou une convention ou un accord de branche déterminant les catégories de salariés susceptibles de conclure de telles conventions, la durée annuelle du travail et les caractéristiques principales des conventions (art. L.3121-39 du code du travail). En outre, l’accord collectif doit contenir des dispositions permettant de garantir le respect des durées maximales de travail hebdomadaire et quotidienne ainsi que des temps de repos minimaux. Le contrat de travail ne peut suppléer les carences de l’accord collectif à cet égard et nombre d’accord sont défaillants sur ce point ;

    être passée par écrit ;

    ne concerner que 2 catégories de salariés (art. L.3121-43 du code du travail) : soit les cadres disposant d’une autonomie dans l’organisation de leur emploi du temps dont les fonctions ne leur permettent pas de suivre l’horaire collectif ; soit les salariés dont la durée du travail ne peut être prédéterminée et qui disposent d’une réelle autonomie dans leur emploi du temps ;

    mentionner précisément le nombre de jours travaillés et pas seulement une fourchette (Cass. Soc., 12 mars 2014, P 12-29.141) ;

    - faire l’objet pour chaque salarié d’un entretien annuel individuel portant sur la charge de travail, l’organisation du travail dans l’entreprise, la rémunération et l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale (art. L.3121-46 du code du travail issu de la loi du 20 juin 2008). La Cour de cassation vient de préciser (Cass. Soc. 12 mars 2014, P n°12-29.141, arrêt n°607 FS-P+B) que cette obligation s’applique également aux conventions de forfait jours en cours conclues antérieurement à la loi du 20 juin 2008.

    L’inobservation de l’une des conditions pourra entraîner l’annulation de la convention de forfait et permettre au salarié de prétendre à des dommages et intérêts et au paiement d’heures supplémentaires (pour toutes les heures accomplies au-delà de 35 heures hebdomadaires), pour lesquelles le régime probatoire est assez souple puisqu’il suffira au salarié, selon la formule consacrée, « d'étayer sa demande par la production d'éléments suffisamment précis quant aux horaires effectivement réalisés » (un décompte manuscrit remplira cet office), à charge pour l’employeur de produire des « éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés ». Or ces éléments seront particulièrement difficiles à réunir s’agissant de salariés dont l’employeur ne contrôlait pas le temps de travail…

     Me Manuel Dambrin

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  • La liberté d’expression est une liberté fondamentale consacrée tant par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen que par la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle trouve naturellement à s’appliquer en droit du travail.

    Ainsi aucun salarié ne peut être sanctionné ou licencié pour avoir exercé sa liberté d’expression, sauf s’il en abuse, c’est-à-dire, selon la formule désormais consacrée par la jurisprudence s’il use de « propos injurieux, diffamatoires ou excessifs ».

    C’est avec l’arrêt « Clavaud » du 28 avril 1988 que la Cour de cassation a posé la première pierre de sa jurisprudence sur la liberté d’expression : Monsieur Clavaud, ouvrier caoutchoutier dans l’usine de Dunlop à Montluçon avait été licencié pour avoir décrit ses conditions de travail dans le quotidien L’Humanité. La Cour de Riom avait prononcé la nullité du licenciement et ordonné la poursuite du contrat de travail, solution approuvée par les hauts magistrats qui énoncent « que l’exercice du droit d’expression dans l’entreprise étant, en principe, dépourvu de sanction, il ne pouvait en être autrement hors de l’entreprise où il s’exerce, sauf abus, dans toute sa plénitude ».

    La question qui était posée à la Cour de cassation dans l’affaire présentement examinée, qui a donné lieu à son récent arrêt du 14 janvier 2014 était différente. Il s’agissait de savoir si l’exercice normal de la liberté d’expression pouvait être limité dans le cadre d’une transaction. La question était jusqu’alors inédite.

    Voici les faits : A l’été 2008, une grande chaîne de télévision licencie son journaliste vedette et, pour éviter un contentieux, par hypothèse long et à l’issue incertaine, les parties signent une transaction. Comme il est d’usage, la transaction prévoit une clause de non-dénigrement réciproque aux termes de laquelle chacune des parties s’interdit toute publication verbale ou écrite se rapportant à la collaboration les ayant uni pendant les années 1987 à 2008, qui aurait pour objet ou pour effet de critiquer ou de dénigrer l’autre, et ce pendant une durée de 18 mois.

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    Considérant que le journaliste a manqué à cette obligation en publiant un livre dès le mois d’octobre 2008, la chaîne de télévision saisit le juge prud’homal d’une demande de dommages et intérêts.

    La Cour d’appel de Versailles lui donne raison et condamne le présentateur à verser à son ancien employeur la somme de 400.000 € à titre de dommages et intérêts (soit un peu moins du tiers du montant de l’indemnité perçue dans le cadre de la transaction).

    L’intéressé se pourvoit en cassation. En substance, son argumentation tient en ce que la liberté d’expression est en dehors du champ contractuel, de sorte que la clause susvisée, qui limitait l’exercice normal de la liberté d’expression et pas seulement son exercice abusif, devait être privée d’effet.

    Mais le pourvoi est rejeté au motif que « des restrictions peuvent être apportées à la liberté d'expression pour assurer la protection de la réputation et des droits d'autrui dès lors que ces restrictions sont proportionnées au but recherché ». A lire cette décision, on discerne les critères qui ont été déterminants dans cette affaire pour conclure à la justification et à la proportionnalité de la clause. Il s’agit :

    -  De la réciprocité de l’engagement de non-dénigrement ;

    -  De la définition précise de l’objet de la clause et « quant aux personnes physiques et morales ainsi qu'aux programmes que le salarié s'engageait à ne pas critiquer ni dénigrer » ;

    -  De l’existence d’une « intense polémique médiatique entretenue par le salarié après son licenciement, de nature à nuire à la réputation de son employeur» ;

    -  Du caractère limité dans le temps de l’interdiction (18 mois).

    La réponse à la question posée est donc « oui », il est possible de transiger sur la liberté d’expression et il ne faut donc pas considérer les clauses de confidentialité et de non-dénigrement figurant dans les protocoles transactionnels comme de simples « clauses de style ».

    Me Manuel Dambrin

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  • Il est assez rare que les acquisitions immobilières par des particuliers ne nécessitent pas la souscription d'un emprunt bancaire permettant de financer le bien visé, même en cas d'apport substantiel.

    La promesse de vente du bien contient presque toujours une condition suspensive relative au financement dont la rédaction revêt une importance considérable, et ce pour deux raisons :

    - il est usuellement prévu une clause pénale dans la promesse de vente, dans laquelle il est convenu que si l'une des parties renonce à régulariser l'acquisition par acte authentique dans le délai prévu dans la promesse, la partie qui est en défaut (qui renonce) doit verser à l'autre partie, à titre d'indemnisation forfaitaire de son préjudice, une somme correspondant généralement à 10 % du prix de vente. Cependant, si le candidat à l'acquisition n'a pas véritablement renoncé, mais s'est vu refuser un concours bancaire, il échappe au règlement de la clause pénale.

    - dans la période actuelle, les conditions de prêt sont historiquement favorables aux emprunteurs et les taux d'intérêt sont extrêmement bas (merci l'euro !). Cependant, les Banques sont très sélectives et ne réservent ces conditions qu'aux bons dossiers (avec un apport minimal et un taux d'endettement raisonnable), à telle enseigne que nombre de promesses de vente ne se concrétisent pas par la signature d'actes authentiques. La condition suspensive relative au financement est donc bien plus fréquemment sollicitée qu'elle n'a pu l'être dans le passé.

    Afin de se prémunir de l'éventuelle procrastination des acquéreurs - de bonne ou de mauvaise foi, peu importe - ou des revirements d'opinion dissimulés en refus de financement bancaire, les vendeurs ont eu tendance à solidement encadrer la condition suspensive (taux et durée du prêt, nombre de banques à approcher, ...) afin de s'assurer que le candidat à l'acquisition va sérieusement se mettre en quête d'un prêt bancaire, processus long et parfois un peu pénible.

    Il en va d'autant plus ainsi que la durée de réalisation de la condition, et donc d'obtention du financement, tourne souvent aux alentours de deux mois, et que la moindre difficulté (désorganisation bancaire, difficulté d'ordre médical chez l'emprunteur,...) est susceptible de faire déraper le processus et de rendre difficile la réalisation de la condition dans le délai imparti.

    La tendance s'est donc généralisée de l'obligation pour le candidat à l'acquisition de déposer ses demandes de prêt dans un délai déterminé dans la promesse de vente et à en justifier auprès du vendeur. Ce délai est souvent court, de 10 jours par exemple.

    95353207

    Cette exigence doit être réputée non écrite et ne s'impose donc pas au promettant, candidat à l'acquisition.

    Telle est la solution dégagée par la troisième chambre civile de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 12 février 2014 (Pourvoi n° 12-27.182), qui a considéré que les dispositions d'ordre public de l'article L. 312-16 du Code de la consommation interdisaient d'imposer à l'acquéreur de déposer une demande de crédit dans un certain délai, cette obligation contractuelle étant de nature à accroître les exigences de ce texte.

    Dans l'affaire ayant donné lieu à cet arrêt, un couple avait signé une promesse de vente d'une maison assortie d'une double  condition suspensive tenant à l'obtention d'un prêt et au dépôt d'une demande de prêt dans un délai de dix jours. Aucune demande de prêt n'ayant été déposée dans ce délai par le candidat à l'acquisition, les vendeurs l'ont assigné en paiement de la clause pénale. La Cour d'appel d'Aix-en-Provence les a déboutés de leur demande, solution approuvée par la Cour de cassation.

    En effet, aux termes de l'article L. 312-16 du Code de la consommation, la durée dans laquelle doit être réalisée la condition suspensive ne peut pas être inférieure à un mois à compter de la date de la signature de la promesse. Cette disposition étant d'ordre public, il n'est pas possible d'y déroger, notamment par contrat. Il en résulte qu'un acheteur ne peut pas être obligé de déposer une demande de prêt dans un délai inférieur à un mois. 

    Tel est le premier enseignement de cet arrêt.

    Le second est que le dépôt d'une demande auprès d'un courtier en prêts immobiliers satisfait à l'obligation de déposer une demande de prêt auprès d'une Banque contenue dans la promesse de vente.

    Voilà qui allège considérablement la charge pesant sur le candidat à l'acquisition, lequel n'est pas tenu de déposer plusieurs dossiers de financement dans des établissements bancaires différents, mais peut se borner à ne déposer qu'un seul dossier auprès d'un courtier qui, lui, va démarcher différentes banques afin de proposer les meilleures conditions à son mandant. Tout dépend cependant de la rédaction de la condition suspensive, laquelle désigne parfois précisément les Banques à approcher. Il faut alors s'y conformer.

    En tout état de cause, et même si cet arrêt doit être approuvé en ce qu'il évite de faire peser des contraintes excessives sur le bénéficiaire de la promesse, candidat à l'acquisition, il est évidemment avisé de ne point tarder après la signature de la promesse de vente pour déposer un dossier de financement auprès d'une banque : le temps imparti par la promesse paraît souvent confortable de prime abord, mais est rapidement consommé, les démarches administratives, examens médicaux, et lourdeurs du fonctionnement interne des banques constituant parfois un véritable parcours du combattant pour le candidat à l'acquisition.

    Me Xavier Chabeuf

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